Don Sturzo - lectures de 2010

Voici mes premières lectures de l'année, plutôt en langue allemande:
1 - Rolf Lappert - Nach Hause schwimmen

Roman d'apprentissage dont le protagoniste est le petit orphelin Wilbur.
Une belle écriture et un "scénario" très bien ficelé - en effet, l'auteur est scénariste et cela se sent. Il a obtenu le prix littéraire suisse en 2009.

2 - Reiner Kunze - auf eigene hoffnung

Poete contemporain allemand. Ce recueil comporte des poèmes des années 80 au moment où Kunze fut obligé de quitter la RDA. J'aime beaucoup son style qui est très précis et qui laisse nénmoins beaucoup de place à l'imaginaire. Voici, pour les germanophones, un exemple, un poème qu'il a écrit à New York. Il capte bien le sentiment de vertige "à l'envers":

AUF DEN STRASSEN MANHATTANS

Du blickst nach oben

Du ahnst den abgrund, in dem das gründet

Du gehst auf einem seil

Ein seiltänzer der
nach oben blickt

3- Albert Camus - Noces
Beau recueil de nouvelles mais les conditions climatiques font que le soleil d'alger me laisse de marbre... Je le relirai une fois la neige fondue, au retour des beaux jours.

4 - Markus Werner - Der ägyptische Heinrich
Décidémment un des mes auteurs contemporains préférés. Encore un suisse qui écrit admirablement bien tout en racontant une histoire saisissante: la quête du narrateur qui souhaite étayer le mythe familial autour de son arrière-grand-père Heinrich. Ce dernier avait quitté la Suisse au 19e siècle pour s'installer en Egypte. Déconstruction d'une histoire familiale sur fond historique (inauguration du canal de Suez), réflexion autour de la transmission et la fiabilité de la mémoire, c'est un tout petit livre tout simpement formidable.
Markus Werner a été traduit en francais et je recommande vivement la lecture.

5 - Lily Brett - Chuzpe Roman découvert l'année dernière et relu (chose rare) cette année. Il me plaît toujours beaucoup!

6 - Jane Smiley - Un appartement à New York
Encore une relecture, encore un roman qui célèbre la ville de New York.

7 - Joyce Carol Oates - Les chutes
J'ai suivi les recommandations d'autres membres de ce forum - et vraiment, je vous remercie de tout coeur! Quelle belle découverte! Le personnage principale m'est restée hermétique jusqu'au dernier chapitre - mais à la fin, j'ai cru comprendre son refus de parler du passé.
Superbe roman!

8 - Lily Brett - Zu viele Männer
La trame de ce roman très autobiographique est un voyage en Pologne que la protagoniste Ruth entreprend avec son père Edek pour visiter les endroits du passé.
Llodz, Cracowie et Auschwitz jouent un rôle central et le lecteur suit une confrontation très douleureuse avec le passé. (La cupidité de ceux qui ont profité et profitent toujours de la shoah est littéralement nauséabonde.)
Roman bouleversant qui comporte aussi beaucoup de dialogues d'un humour (noir) irrésistible.
La suite de cette histoire se trouve dans le roman "chuzpe" (you gotta have balls).

9 - Art Spiegelmann - Maus
La BD géniale de ce dessinateur américain, enfant de survivants de la shoah

10- Colum McCann - Que le monde continue sa course folle
Le titre semble tellement raté en francais - mais difficile aussi de traduire "let the great world spin".
Roman polyphonique qui retrace une journée début des années 1970, à New York, avec une multitude de personnages dont il est au départ difficile de garder la trace dans sa mémoire de lecteur...
Le destin de toutes ces personnes s'articule autour d'évènement fantastique : l'exploit d'un funambule qui a marché entre les deux tours du World Trade Center, récemment érigées.
J'ai beaucoup aimé la description de l'entrainement du funambule (on reconnait bien "le danseur") et le personnage du prêtre irlandais, complexe, irritant et unique.

11 - Katherina Hagena - Der Geschmack von Apfelkernen
Roman contemporain allemand qui était un des bestsellers en 2009. Une jeune bibliothécaire hérite de la maison de sa grand-mère. Commence alors un voyage dans le passé (un secret familial est dévoilé, bien sûr).
Les impressions et descriptions du paysage (le Nord de l'Allemagne) me plaisent bien - mais les rencontres des différents personnages entre eux ainsi que les dialogues ne sont guère convaincants (pour ne pas dire cucul-la-praline).

12 . - Kathrin Schmidt - Du stirbst nicht
Magnifique roman, un tourbillon d'intelligence et d'honnêteté. En allemand, on le qualifierait de "schonungslos" - qui n'épargne personne ni soi-même. Après un AVC, une femme écrivaine doit se réapproprier son histoire personnelle, réapprendre à parler, à penser... On est irrésistiblement attiré par ce "Bildungsroman". En même temps, on apprend beaucoup de choses du quotidien en Allemagne de l'Est et une des plus belles lettres d'amour s'y cache également... (Je crois que c'était Nabokov qui disait que le grand art d'un romancier consistait à sauver à jamais des lettres réelles dans l'écrin d'un roman. )

13 -Ron Rash - Un pied au paradis Roman policier dont l'histoire se déroule dans les Apalaches dans les années 50. La polyphonie des personnages, chère aux romanciers contemporains, sert ici à disséquer toutes les facettes d'un crime - et ses répercussions sur la génération suivante. Par ailleurs, le crime symbolise la fin de l'innocence non seulement des humains mais aussi de la nature : celle-ci est dénaturée, rendue hostile à l'homme. Notamment cet aspect-là m'a fait penser aux Chutes - l'intensité de la destruction de la nature par l'industrie est décrit de manière saisissante.

14- Joyce Carol Oates - Eux
Une véritable apocalypse moderne, dans les quartiers pauvres de Detroit. L'histoire de Detroit m'intéresse (elle se déroule des années 30 jusqu'aux émeutes de la fin des années 60) - j'en avait pris connaissance il y a quelque temps dans le roman de Jeffrey Eugenides Middlesex

15 - Sylvie Caster - Ici-bàs
Sylvie Caster est journaliste et écrivain, travaillant entre autres pour la revue XXI. Dans ce livre, elle publie un recueil de 5 reportages (appelés "récits"), qui saissent bien une réalité sociale francaise tout en brossant des portraits de personnes extraordinaires: par exemple des moines franciscains à Toulouse qui organisent les "cercles de silence" publiques pour protester contre le "centre de rétention" des sans-papiers, ou d'un scrutateur des comptes de l'Elysée, tenance et implacable. Ce recueil est une belle manière d'attraper l'éphémère (le genre de texte mais aussi on contenu).

16 - Uwe Timm Kerbels Flucht
Relecture mais je n'avais aucun souvenir de ce texte. Un beau passage à Berlin, juste après la chute du mur,ou la ville était encore ouverte de toutes les possibilités.

17 - Uwe Timm - Nicht morgen, nicht gestern
Recueil de six nouvelles dont j'ai particulièrement aimé "le manteau": à travers l'objet du manteau se déroule tout un pan de l'histoire artisanale et sociale, un peu à la Philip Roth dans American Pastoral lorsque le narrateur parle de la manufacture de gants. Je trouve cela fascinant et précieux: un texte littéraire qui constitue aussi une boîte à souvenirs de pratiques révolues.

18 - David Servan Schreiber - Guérir Evidemment, une fois la lecture terminée, j'ai tout de suite envie de me mettre au jogging et d'acheter un réveil "simulateur de l'aube".Et, bien sûr, j'améliorerai ma communcation émotionnelle auprès de mes proches et de mes collègues ("Lorsque tu poses ton gobelet de café sur mes dossiers, cela me rend triste car j'ai l'impression d'être anéanti...")
Bon, trêve de raillerie... Le livre a tout de même un grand mérite, très appréciable, qui l'emporte sur sa naiveté parfois agacante: la remise en cause de l'approche médicale occidentale comme unique secours du patient.
A retenir: "Douter de tout ou tout croire, ce sont les deux solutions également commodes qui dispensent de réfléchir." (Henri Poincaré, La science et l'hypothèse)

19 - Olivier Adam - Falaises Ma découverte de l'année - quel écrivain magnifique! Comme le va-et-vient de la mer, élément qui joue un rôle prépondérant, la narration avance et recule autour du personnage central: ce jeune écrivain, père depuis peu, qui lutte avec les blessures du passé.

20 - Olivier Adam - Des vents contraires
Chaque page est une jubilation, malgré la noirceur et la tristesse et on est happé dans un tourbillon de poésie et de souffle génial. Le genre d'auteur qui éteint toute instance critique en moi... j'adore sa manière d'écrire.

Citation du texte: "Les gamins sautaient de pierre en pierre, parfois leur simple présence auprès de moi me submergeait.
J'ai repensé à Bréhel, à ce qu'il m'avait dit entre deux verres, si l'enfance était bénie c'était surtout pour les parents. Ses gosses avaient grandi et ce n'était au fond qu'un irrémédiable et lent processus de séparation. Ils étaient si loin désormais qu'ils en devenaient méconnaissables ... Il ne restait d'eux qu'un souvenir, une trace, une empreinte sur la peau,là où s'étaient posées leurs lèvres et lovés leurs petits crânes."

Et puis, lorsque le protagoniste se livre enfin à un ami au téléphone, il parle de ses enfants qui grandissent sans mère :

-"Et toi ca va, tu t'en sors?"
"Sa question m'a brutalement ramené sur terre, m'a fait l'effet d'une douche froide. Je n'aimais pas emmerder Tristan avec mes histoires. J'aimais qu'entre nous les choses soient légères et douces. Mais quelque chose me disait qu'il était temps de faire face, j'avais assez payé comme ca, j'avais fait front tout seul, le moment était venu de demander grâce ou de l'aide. Alors j'ai répondu non. Non, je ne m'en sortais pas, ici j'avais cru trouver un second souffle, un répit, mais le poids était trop lourd, chaque jour apportait son lot d'emmerdes, me cassait le dos, me brisait les membres. Quant aux enfants je ne savais plus quoi faire, ils se contrôlaient mais au fond ils étaient détruits. Quelque chose en eux s'était brisé que rien ne pourra jamais réparer. On n'y pouvait pas grand-chose, les marges de manoeuvre se réduisaient de jour en jour et il fallait se résigner à se tenir auprès d'eux, à les accompagner le moins mal possible, à leur apprendre à marcher avec un trou dans le coeur et du vent dans la poitrine."

21 - Catherine Cusset - Amours transversales

22 - Olivier Adam - A l'abri de rien
Deux mouvements spiralaires inversés dans ce beau roman: une jeune mère au foyer, dépressive et solitaire, découvre que, au lieu d'être sauvée par les autres, elle peut aider les plus démunis (les réfugiés à Calais qui cherchent à gagner l'Angleterre). Mais la découverte d'une réalité sociale cruelle et horrible la fait perdre pied. La folie, qui la guettait depuis si longtemps, s'installe en elle et l'entraîne dans une descente tragique.

la solidarité envers lesplus pauvres et ladescentre

23 - Dominique Manotti - Bien connu des services de police
Le dernier roman policier de cette écrivaine douée. Panteuil, en banlieue parisienne, est le lieu de l'intrigue, avec son commissariat pourri et son immeuble désaffecté squatté par des sans-papiers maliens. Dans les coulisses, des intrigues au ministère de l'intérieur (il faut faire du chiffre, lancer la politique sécuritaire) et la guerre du service de police et des RG.

Dans une lecture publique cette semaine, Dominique Manoni, qui n'a peu de principes ou de règles toutes faites pour écrire, donnait son unique règle: chaque scène doit faire avancer l'action.

Règle appliquée dans ce roman très noir, effrayant et qui fouette le lecteur!

24 - Dominique Manotti - Nos fantastiques années fric
Bon polar autour des intrigues à l'Elysée pendant le premier septennat de Mitterrand. Trafic d'armes et commissions versées, prostitution de luxe... Dominique Manotti explore un sujet qui l'intéresse beaucoup: la relation entre le pouvoir et le sexe.

25 - Catherine Cusset - La haine de la famille
Voyage dans l'enfer de la grande bourgeoisie parisienne, où la famille est un lieu de combat, les enfants éduqués dans un esprit de compétition et de rivalité, et où la pingrerie rivalise avec le snobisme. Instructif, bien écrit mais parfois tellement agacant!

26 - Sandro Veronese - Chaos calme
La scène d'ouverture de ce grand roman contemporain italien est emblématique: le protagoniste sauve une femme en train de se noyer, mais cet exploit héroïque n'est nullement récompensé. Bien au contraire: la vie sauvée se paie par une vie perdue. Tout le roman tourne autour du deuil, du néant et comporte de belles scènes entre le protagoniste et sa petite fille. Olivier Adam mentionnait ce livre comme un coup de cœur et, effectivement, on y retrouve beaucoup de thèmes et motifs qui lui sont chers.

Beaucoup de lectures estivales.... surtout des polars, je donne la liste en vrac:

Hakan Nesser - Eine ganz andere Geschichte 3,5*
Christian von Ditfurth - Schatten des Wahns 4*
Eva Hermann - Die letzte Instanz 5*
Sebastian Fitzek - Das Amokspiel3,5*

31 - Eva Hermann - Das Kindermädchen 5*
32 - Catherine Cusset - Un brillant avenir 5*
33 - Daniel Kehlmann - Ruhm 4*
34 - Philip Roth - Un homme 5*
35 - Camilla Läckberg - Die Totgesagten 3*
36 - Ruth Rendell - Promenons-nous dans les bois 3*
37 - Ian Rankin - Fleshmarket Close 4,5*
38 - Ian Rankin - Cicatrices 3,5*

39 - Alison Lurie - Conflits de famille
Roman satirique et drôle qui démonte l'hypocrisie de la société américaine des années 70. La trame est une histoire d'adultère illustrant la thèse qu'on divorce pour fuir ses enfants adolescents. Ces pauvres adolescents se retrouvent dans quelques portraits bien cruels et vraiment hilarants.

40 - Dieter Wellershoff - Der Himmel ist kein Ort
Première lecture de ce grand écrivain allemand né en 1925. Un jeune prêtre affronte le doute dans sa foi et la recherche d'une posture face à ses paroissiens. Une belle intrigue (un homme a causé un accident de voiture qui a tué sa femme et son fils. La question de sa culpabilité est élucidée) et un grand talent pour les réflexions philosophique et théologique.

41 - William Boyd - Einfache Gewitter 4****
42 - Tillmann Rammstedt - Der Kaiser von China 4****
43 - Mariana Leky - Die Herrenausstatterin 4****
44 - Christian von Ditfurth - Lüge eines Lebens 3***
45 - Peter Stamm - Sieben Jahre 4****
46 - Alice Ferney - Grâce et denuement 5*****
47 - Henri Bauchau - Boulevard Périphérique5*****

Dans le désordre et l'anachronie ... histoire de me souvenir encore de quelques lectures en cette fin d'année:

48 - Philip Roth - Indignation - Magnifique livre, je viens de le fermer et pourrais le recommencer aussitôt.
Avec un superbe épigraphe :
"Olaf (sur des genoux qui n'en sont plus) répète sans jamais se lasser 'il est des merdes qu'on ne me fera pas bouffer'."
(E.E. Cummings, "Je chante Olaf le gai le grand")

49 - Joyce Carol Oates - Mère disparue Très beau roman autour du deuil avec une dernière phrase qui va droit dans le coeur "Ainsi s'acheva la première année où ma mère me manqua."

50 - Martin Suter - Le cuisinier Roman intéressant dans la mesure où il parle des difficultés et pressions que subit le protagoniste Maravan, un jeune réfugié tamoul, dans sa diaspora suisse. C'est bien - mais Small World reste quand-même mon favori de cet écrivain.
51 - Ian Rankin - Der diskrete Mister Flint - Je n'ai pas accroché avec l'intrigue et l'écriture... alors que j'avais bien aimé les polars de Rankin autour de Rebus.
52 - Dominique Manotti - A nos chevaux Très bon polar.
53 - Marie Ndiaye - Mon coeur à l'étroit Je suis coincée dans ce roman qui pourtant est très maîtrisé et bien construit... mais l'histoire racontée comme une parabole est glaciale. Et en ce moment, j'ai plutôt besoin de chaud que du froid. Je reprendrai peut-être à la belle saison.

54 - Uwe Timm - Morenga C'est un roman indispensable de la littérature allemande qui dévoile une face longtemps cachée de l'Histoire coloniale (la guerre de l'Empire allemand contre les Hereros en Namibie)

55 - Joyce Carol Oates - La fille du fossoyeur Dans quelle mesure peut-on se soustraire aux influences familiales afn de se construire soi-même? Y-a-t il une fatalité biographique? Roman très fort dont les deux thèmes principaux sont l'identité mais aussi la violence.

56 - Joyce Carol Oates - Délicieuses pourritures Je n'ai pas beaucop apprécié la manière dont Oates relate cette relation perverse entre professeur d'université et étudiantes - et les motifs de la protagoniste restent assez obscurs. Mais la description des oeuvres d'art (les totems d'une sculptrice) est vraiment saisissante.

57 - Uwe Timm - Der Schlangenbaum