Raton-Liseur - Défi de lecture « Nobel de littérature » (2013-2014)

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Raton-Liseur - Défi de lecture « Nobel de littérature » (2013-2014)

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1raton-liseur
Editado: Maio 29, 2013, 10:47 am

La lectrice et internaute Gwen a lancé il y a déjà quelques mois un défi de lecture de lecture très informel pour encourager la lecture de l’œuvre des écrivains couronnés par le prix Nobel de littérature. Ce défi dure jusqu’en 2014, et chaque participant fixe son objectif et ses propres règles.
Ce concept de défi à géométrie variable me plaît bien, car il correspond à mon approche insouciante de la lecture. Par ailleurs, le prix Nobel est un des rares prix littéraires auquel je m’intéresse un tant soit peu, et j’ai apprécié plusieurs des auteurs l’ayant reçu (d’après un calcul rapide, j’en aurais lu 20 ou 25 jusqu’à présent !).

Après avoir longtemps tergiversé, j’ai donc décidé de participer à ce défi, qui me donnera l’occasion de continuer sur ma lancée et me poussera à découvrir de nouveaux auteurs.
Voici donc les règles que je me fixe, dans le but de me pousser vers la diversité : au moins un auteur par décennie, ce qui fait 12 œuvres à lire dans le temps imparti puisque le prix est attribué depuis 1901. Je ne promets pas que tous ces auteurs seront nouveaux pour moi, mais j’espère qu’au moins la moitié d’entre eux le seront.

A noter, la liste des lauréats du prix Nobel de littérature est disponible sur le site de Wikipédia.

2raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 7:21 pm




Récapitulatif :
Décennie 1900 - Ianko le musicien de Henryk Sienkiewicz*, prix Nobel 1905 (note de lecture)
Décennie 1910 - Le Lieutenant Conrad de Carl Spitteler*, prix Nobel 1919 (note de lecture)
Décennie 1920 - Dans la brume de Władysław Reymont*, prix Nobel 1924 (note de lecture)
Décennie 1930 - Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello*, prix Nobel 1934 (note de lecture)
Décennie 1940 -
Décennie 1950 - La cloche d’Islande de Halldor Laxness, prix Nobel 1955 (note de lecture)
Décennie 1960 - Fin de partie de Samuel Beckett, prix Nobel 1969 (note de lecture)
Décennie 1970 - Une Journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne*, prix Nobel 1970 (note de lecture)
Décennie 1980 - La famille de Pascal Duarte de Camilo José Cela*, prix Nobel 1989 (note de lecture)
Décennie 1990 - Tribu bêlante de Kenzaburo Oê*, prix Nobel 1994 (note de lecture)
Décennie 2000 - La Convocation de Herta Müller*, prix Nobel 2009 (note de lecture)
Décennie 2010 - Le clan du sorgho de Mo Yan, prix Nobel 2012 (note de lecture)

Flâneries au Stockholms Sdathus :
Je recense dans cette catégorie d’autres œuvres d’écrivains couronnés par le Prix Nobel lus pendant la durée de ce défi de lecture, et que je ne comptabilise pas dans le défi, en général parce que ce sont des auteurs ou des décennies déjà visités et dans lesquels je me prends à musarder.
Décennie 1900 - L’Homme qui voulut être Roi de Rudyard Kipling, prix Nobel 1907 (note de lecture)
Décennie 1900 - Le Roman d’une femme de pêcheur de Selma Lagerlöf, prix Nobel 1909 (note de lecture)
Décennie 1900 - Sigrid la Superbe de Selma Lagerlöf, prix Nobel 1909 (note de lecture)
Décennie 1900 - Une Légende de Jérusalem de Selma Lagerlöf, prix Nobel 1909 (note de lecture)
Décennie 1910 - Colas Breugnon de Romain Rolland*, prix Nobel 1915 (note de lecture)
Décennie 1920 - Pan de Knut Hamsun, prix Nobel 1920 (note de lecture)
Décennie 1920 - Le Puits de Sainte Claire (sélection) d’Anatole France, prix Nobel 1921 (note de lecture)
Décennie 1920 - Kristin Lavransdatter de Sigrid Undset*, prix Nobel 1928 (note de lecture)
Décennie 1950 - Le Vieil Homme et la Mer d’Ernest Hemingway, prix Nobel 1954 (note de lecture)
Décennie 1950 - Les Silences de Paris d’Albert Camus, prix Nobel 1957 (note de lecture)
Décennie 1960 - Les Mouches de Jean-Paul Sartre, prix Nobel décliné en 1964 (note de lecture)
Décennie 1960 - Huis clos de Jean-Paul Sartre, prix Nobel décliné en 1964 (note de lecture)
Décennie 1980 - Pas de lettre pour le colonel de Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel 1982 (note de lecture)
Décennie 1980 - Les Funérailles de la Grande Mémé de Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel 1982 (note de lecture)
Décennie 1990 - Personne pour m’accompagner de Nadine Gordimer, prix Nobel 1991 (note de lecture)
Décennie 2010 - Les Lunes de Jupiter d’Alice Munro*, prix Nobel 2013 (note de lecture)

Note : Les noms d’auteurs suivis d’une étoile indiquent les auteurs que je lis pour la première fois. J’espère découvrir au moins six auteurs dans le cadre de ce défi, ce qui est chose faite puisque je compte déjà neuf découvertes dans le cadre de ce défi.

3raton-liseur
Editado: Maio 31, 2013, 5:41 pm

Je commence étrangement ce défi de lecture, par une lecture inattendue, puisque c’est en écrivant ma note de lecture que je me suis aperçue que l’auteur était lauréat du prix Nobel !
Et c’est une entrée en fanfare dans ce défi, car c’est une lecture passionnante bien que courte, qui me donne envie de découvrir plus avant cet auteur.

4raton-liseur
Maio 31, 2013, 5:41 pm

1. Tribu bêlante - Kenzaburo Oê, lu par Robert Rimbaud
Une nouvelle coup de poing. Avec les livres audio que je glane à la radio ou ailleurs, je ne sais pas toujours où je mets les pieds, ou plutôt les oreilles. Cette dernière lecture de la saison 2012 de l’émission Un été de lectures sur France Culture avait un titre qui laissait penser à une histoire sombre, mais elle l’a été bien au-delà de ce que je pensais.
Tribu bêlante est une des premières nouvelles écrites par Kenzaburo Oê, jeune étudiant récemment débarqué de sa province, dans un Japon marqué par la défaite et par l’occupation des forces américaines. Elle raconte l’histoire d’un groupe de Japonais, humiliés par des soldats américains, et de la réaction des humiliés tout comme des témoins de la scène.
La nouvelle met mal à l’aise, car dans un style simple et sans fioriture, Oê décrit la scène et les réactions de chacun, dans toute la crudité et la lâcheté qui s’impose. Oê ne semble pas juger ses personnages, au contraire, il s’identifie à l’un de ces hommes obligé de s’abaisser devant l’occupant, comme le souligne l’emploi de la première personne, et c’est la métaphore de tout un peuple et toutes ses bassesses et ses compromissions qu’il donne à voir, là où même la tentative de résistance est identifiée à un acte de voyeurisme de plus. Le constat est amer, sans appel, l’héroïsme n’existe pas, on ne peut que courber l’échine.

Je découvre cet auteur japonais avec cette nouvelle, je découvre aussi après coup qu’il a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1994 (ce qui montre l’étendue de ma connaissance de la littérature japonaise !), et je sais que je n’en resterai pas là. Je viens de découvrir un auteur certes difficile, qui met mal à l’aise (comme trop souvent dans la littérature japonaise), mais ici cette sensation sert un propos dur et, pour utiliser un cliché, sans concession. C’est l’âme humaine qui est mise à nu, non dans ce qu’elle a de noir mais, pire, dans ce qu’elle a de vraie lâcheté et de faux courage.
Cette nouvelle m’a donné envie de relire Boule de Suif de Maupassant, qui, bien que d’un propos apparemment différent et bien que traitant d’une guerre d’une autre époque et d’un autre lieu, évoque, en des termes plus choisis mais qui avaient beaucoup impressionné la lycéenne que j’étais, cette même lâcheté qui nous guette tous autant que nous sommes. Cette nouvelle m’a donné envie aussi, surtout, de découvrir d’autres œuvres, parfois peut-être plus connues de cet auteur, et de faire un bout de chemin avec lui, même si le sentiment est probablement étroit, plein de pierres acérées et longe un précipice dont on ne peut revenir.

Note : Cette nouvelle, publiée au Japon en 1958, ne semble être disponible, en format papier, que dans le premier tome du recueil Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines dans la collection « du monde entier » de Gallimard.

5raton-liseur
Maio 31, 2013, 5:42 pm

Deuxième sur ma liste de lecture, La cloche d’Islande est le premier roman que j’ai décidé de lire dans le cadre de ce défi de lecture. J’ai lu il y a quelques années le superbe roman Gens indépendants, une de mes premières (sinon ma première) introduction au monde islandais et un merveilleux moment de lecture.
Cette lecture m’ayant tant plu, j’avais acheté dans la foulée La cloche d’Islande, présenté comme son chef-d’œuvre, sans même savoir de quoi il retournait, mais je n’avais jamais pris le temps de l’ouvrir. Je dois avouer que j’aime peu les livres des éditions Garnier-Flammarion, et bêtement, cela m’a tenu éloignée de ce livre pendant longtemps.
Ayant commencé ce défi de lecture pour reprendre une lecture des prix Nobel un peu ralentie ces derniers temps, je me suis dit qu’il était tout indiqué d’inclure ce livre dans mes lectures du moment. Le souvenir de Gens indépendants étant tellement fort, je n’ai pu qu’être déçue par cette lecture, qui est restée inaccessible pour moi, et ce n’est qu’à cause de ma participation à ce défi de lecture que je me suis un peu forcée à le finir, pour tout de même pouvoir écrire une note de lecture un peu circonstanciée.
Je ne recommanderais donc pas La cloche d’Islande, sauf aux fins connaisseurs de ce pays, par contre, Gens indépendants restera toujours un livre que je recommanderai chaudement !

6raton-liseur
Maio 31, 2013, 5:42 pm

2. La cloche d’Islande - Halldór Laxness
La cloche d’Islande est considéré comme le chef-d’œuvre de Laxness, et est parfois considéré comme le livre le plus important de la littérature islandaise. Devant un tel monument (heureusement je ne savais pas tout cela avant de commencer ma lecture), il est difficile pour l’humble petite lectrice que je suis de me lancer dans l’écriture d’une note de lecture, et encore moins d’une critique.
Je connais peu de chose de l’Islande, de sa culture et de son histoire, et il est évident que cela a gêné ma lecture. Le style assez direct du livre m’a déconcertée, et j’ai surtout eu beaucoup de mal à entrer dans l’histoire, je ne suis même pas sûre d’y avoir réussi.

Cette histoire, justement. Elle est centrée autour de trois personnes, qui sont présents tout au long du livre, mais qui sont le centre d’une des parties du livre. Initialement publié en 3 tomes, la cloche d’Islande retrace d’une façon très personnelle l’épopée de l’Islande sous la domination danoise des premières décennies du XVIIIème siècle. La première partie, intitulée La cloche d’Islande, commence justement avec le décrochage de cette cloche, qui marque l’entrée de l’Althing, le parlement islandais créé en 930 et symbole de l’identité et de l’histoire islandaise. Jon Hreggvidsson, paysan pauvre mais libre qui n’a pas sa langue dans sa poche, est condamné à mort mais se retrouve en exil sur les routes du Danemark. Dans la seconde partie, La vierge claire, publiée en 1944, Snaefrid prend la place du personnage principal. Sa beauté fière est celle de ses ancêtres et des fées qui longtemps peuplèrent l’île d’Islande. Enfin, dans L’incendie de Copenhague, publié en 1946, l’érudit Arnas Arnaeus prend le pas sur les autres personnages. Inspiré par la figure historique d’Arni Magnusson, c’est un savant passionné par les sagas et les grands manuscrits islandais. Il bat les campagnes pour les acheter et les protéger, mais pour ce faire, les envoie dans sa bibliothèque de Copenhague, siège du joug que subit durement le peuple islandais infantilisé et réduit à la famine.
Ce sont trois figures complexes, et je n’ai pas toujours compris les ressorts de leur personnalité, les raisons qui sous-tendent leurs décisions. C’est en particulier le cas pour Snaefrid, le personnage féminin dominant, qui s’évertue à s’humilier et à détruire sa propre vie, préférant le sublime dans la déchéance si elle ne peut avoir le sublime tout court, comme si sa beauté ne pouvait être rehaussée que par l’écrin le plus vil.
Aucun des personnages ne m’est apparu attachant, mais si j’en crois la préface de Régis Boyer, inlassable traducteur de la langue islandaise, ces trois personnages sont aussi trois faces de l’âme islandaise. Dire quelle métaphore incarne chacun de ces trois personnages serait bien trop réducteur pour que je m’y risque. Mais c’est justement là que ma connaissance limitée de l’histoire et de la culture islandaise me font dire que je n’ai pas pu apprécié ce livre à sa juste valeur. Je ne suis d’ailleurs même pas sûre que ce livre est destiné à un autre lectorat que le lectorat islandais. Je crois pouvoir entrevoir en quoi ce livre peut parler aux Islandais, l’évocation d’une période douloureuse de leur histoire mais aussi d’une inflexible fierté et d’une liberté défendue à tout prix, l’évocation de racines profondes et indélébiles, d’une tradition d’écriture bien plus ancienne que dans le reste de l’Europe et que les pays Scandinaves ont cherché à récupérer pour leur propre compte pour construire leur propre identité nationale. Tout cela, et bien plus encore, est dans ce roman riche, mais tout cela est resté hors de ma portée.
J’ai donc eu beaucoup de mal à finir ce livre, à essayer d’en percer le sens, et ce fut une lecture peu agréable. Il me semble que d’autres livres de Laxness sont bien plus accessibles, parce que plus universels dans leur propos, même s’ils sont ancrés dans leur territoire. Je me souviens de ma lecture de Gens indépendants il y a quelques années, et du très bon moment de lecture que ce roman avait été. Si je relis un jour Laxness, j’espère trouver à nouveau un livre dans cette veine, et je chercherai alors ailleurs à comprendre les soubresauts d’une histoire complexe et probablement passionnante.

7raton-liseur
Jun 3, 2013, 1:50 pm

J’avais lu un livre de Mo Yan avant qu’il ne soit récompensé du prix Nobel, Le radis de cristal, recueil de deux nouvelles (si je me souviens bien), qui ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable. J’ai été étonnée de découvrir que c’était cet auteur qui était couronné Nobel en 2012. J’ai depuis acheté La dure loi du Karma, qui semble assez plaisant, mais l’épaisseur du livre, bien peu en adéquation avec le temps que je peux consacrer à la lecture en ce moment m’a intimidée.
En voyant le fin Clan du sorgho sur l’étagère d’une librairie d’aéroport, coincé entre un policier et un roman d’amour, je n’ai pas m’empêcher de vouloir sauver cet exemplaire de l’oubli, et l’ai pris dans mes bagages, après un drôle de regard du vendeur qui semblait penser qu’il n’est pas même envisageable de considérer acheter un livre avec un tel titre !
Je l’ai ouvert derechef, espérant me plonger dans un roman intéressant, mais la lecture n’a pas été celle que j’attendais, et je dois avouer qu’après cette seconde lecture, bien différente de la première mais guère plus satisfaisante, je suis loin de réussir à me faire une opinion sur l’œuvre de Mo Yan.

De plus, il me semble que la construction de la narration de Mo Yan illustre bien la difficulté que j’ai depuis quelques années avec les prix Nobel récents, comme Coetzee, dont j’ai lu En attendant les barbares après qu’il ait reçu le prix en 2003 par exemple. Il me semble parfois que le prix récompense avant tout un style (un peu toujours le même, un style basé sur une « déconstruction » de la narration), au détriment du propos lui-même. Comme si la forme était devenue plus importante que le fond (un signe de notre temps ?). Avec l’attribution du prix à Vargas Llosa en 2010, j’avais espéré que cela change, mais l’exemple de Mo Yan me fait à nouveau douter. Etrange que je semble préférer les prix Nobel du passé (en tout cas ceux qui semblent avoir passé l’épreuve du temps) aux prix Nobel les plus récents.
Je me sens toute réactionnaire et aigrie tout d’un coup, mais cela ne m’empêchera pas de continuer à lire. Des classiques, mais aussi des contemporains car je ne désespère pas !

8raton-liseur
Editado: Jun 3, 2013, 1:51 pm

3. Le clan du sorgho - Mo Yan
Mo Yan a écrit plusieurs récits sur les évènements qui ont secoué la Chine en tous sens au cours du XXème siècle, prenant souvent pour cadre un village du Nord de la Chine similaire à celui où il a passé son enfance (et où le pouvoir en place, très fier de la distinction reçue par un auteur qui ne conteste pas ouvertement le régime, envisage d’ouvrir un musée en son honneur).
Le clan du sorgho évoque la période l’invasion japonaise, dans les années 30, et la résistance qui s’organise tant bien que mal dans les villages ruraux.
Le livre est violent, avec quelques scènes insoutenables que j’ai eues du mal à lire, bien que je ne crois pas être une âme sensible.
Mais c’est surtout le style de sa narration, avec des allers-retours incessants entre le passé et le présent de l’action qui m’a empêchée de rentrer dans cette histoire. Cet éclatement du temps, difficile à suivre et qui, à mon sens ne sert pas le propos, rend la lecture lourde et presqu’indigeste, du moins c’est mon point de vue, celui d’une lectrice qui aime la simplicité et qui aime qu’un style d’écrivain serve le texte au lieu de n’apparaître que comme un artifice d’écrivain.
Je dois donc avouer être restée complètement hors de cette lecture, que je n’ai finie que parce que le livre était court et que j’ai espéré jusqu’au bout que tout cela mènerait a quelque chose. Aimant souvent la littérature chinoise, je suis donc particulièrement déçue par cette lecture, mais peut-être suis-je trop vieux jeu et traditionnaliste, encore plongée dans Lao She et n’étant pas passée à la nouvelle génération.

9raton-liseur
Editado: Jun 14, 2013, 4:43 pm

J’ai acheté Huit clos, suivi de Les Mouches sur une brocante un peu par hasard au détour d’une balade printanière dans les plaines de la Beauce. Cela fait déjà quelques années, mais je n’avais jamais vraiment envisagé de l’ouvrir.
Pourtant, je m’étais promis de relire Sartre, après une première expérience désastreuse lorsqu’il m’a fallu lire Les mots, sur injonction de l’Education Nationale (cette année-là avait été encore plus désastreuse que la précédente, avec son thème déjà trop alambiqué de « L’écriture de soi », avec trois œuvres au programme, Les mots de Satre, donc, mais aussi Les Confessions de Rousseau, que je ne relirai pas même sous la contrainte, et Les Mémoires d´Hadrien, seul à racheter l’ensemble mais que j’étais bien trop jeune pour apprécier à sa juste valeur…).
Je voulais découvrir Sartre l’écrivain, pas Sartre le personnage, mis en scène par lui-même et je m’étais donc promis de lire un ouvrage plus représentatif. Mais le mal était fait et je n’ai jamais sauté le pas.
Jusqu’à lundi dernier, où, poussée par ce défi de lecture qui m’a fait regarder de plus près les œuvres d’auteurs nobélisés dans ma bibliothèque, je me suis dit qu’il était temps que je vaincs mes appréhensions. C’est maintenant chose faite et j’en suis bien contente, Huis clos vaut vraiment le détour, et je continue sur ma lancée avec Les Mouches, qui fera l’objet d’une autre petite note de lecture.

Je respecterai cependant le choix de Sartre, et même si c’est ce défi de lecture qui m’a poussé à le lire, je ne le compterai pas dans mes lectures pour ce défi, puisqu’il a refusé le prix qui lui avait été décerné en 1964. Ce sera donc ma première « flânerie au Stockholms Sdathus », la mairie de Stockholm, lieu où sont décernés chaque année les fameux prix du génie de la trinitroglycérine !

10raton-liseur
Editado: Jun 14, 2013, 4:44 pm

Flânerie (Décennie 1960) - Huit clos - Jean-Paul Sartre
On meurt toujours trop tôt – ou trop tard. Et cependant la vie est là, terminée : le trait est tiré, il faut faire la somme. Tu n’es rien d’autre que ta vie. (p. 90, Scène 5).
« L’enfer, c’est les Autres. » (p. 93, Scène 5), je connaissais la citation, il était temps que j’en connaisse le contexte.
Il m’est difficile d’écrire une note sur cette pièce de théâtre, dont je connaissais trop d’éléments, ayant ainsi perdu le plaisir de la découverte, celui d’être désorientée par les premières scènes et de comprendre petit à petit, en même temps que les personnages eux-mêmes ; je n’ai pas eu le plaisir de me demander ce que tout cela signifiait, tellement je connaissais les grandes lignes des exégèses habituelles et tant il m’a été impossible de les oublier.
C’est bien dommage, car au-delà de cela, j’ai apprécié cette pièce au style sec et direct qui dit sans détour la difficulté d’être et surtout la difficulté de faire coïncider l’idée que l’on a de soi et ce que l’on est vraiment. Et c’est là que les autres sont un enfer, parce que c’est leur regard qui nous obligent à nous voir comme nous sommes et non comme nous croyons être. C’est ce regard qui nous fait bourreaux les uns des autres, volontairement ou à notre corps défendant. Ce livre me fait me demander à quoi pourrait bien ressembler le paradis, si l’enfer ce sont effectivement les autres, leur seule existence et leur simple présence ?
Voici une lecture qui m’a donc réconciliée avec Sartre (et ce n’était pas gagné d’avance !). J’espère que j’aurai l’occasion de voir cette pièce au théâtre un jour, car la mise en scène et le jeu doivent probablement renforcer son message et le sentiment d’inéluctable qui se dégage de cette pièce. Si elle n’apporte pas beaucoup de réponse, elle exprime bien, au moyen d’une métaphore, cet existentialisme que Sartre défendait, et auquel Camus a apporté une touche d’espoir qui n’existe pas ici. Ici, il ne reste que le constat amer et lucide de Garcin pour conclure cette grinçante comédie humaine qui n’aura pourtant jamais de fin : « Eh bien, continuons. » (p. 95, Scène 5).

11raton-liseur
Jun 17, 2013, 11:55 am

Flânerie (Décennie 1960) - Les Mouches - Jean-Paul Sartre
Jupiter – Pauvres gens ! Tu vas leur faire cadeau de la solitude et de la honte, tu vas arracher les étoffes dont je les avais couverts, et tu leur montreras soudain leur existence, leur obscène et fade existence, qui leur est donnée pour rien.
Oreste – Pourquoi leur refuserais-je le désespoir qui est en moi, puisque c’est leur lot ?
Jupiter – Qu’en feront-ils ?
Oreste – Ce qu’ils voudront : ils sont libres, et la vie humaine commence de l’autre côté du désespoir.

(p. 238, Scène 2, Acte 3).
Je ne connaissais rien de cette pièce de théâtre avant d’en commencer la lecture, et j’ai été surprise, en voyant la distribution des personnages d’y découvrir Oreste, Electre et Clytemnestre. Les mouches n’est donc autre que la réécriture de cet épisode de la mythologie grecque où Oreste, pour venger le meurtre de son père, tue le nouveau roi d’Argos et sa propre mère, devenant d’un même coup d’épée justicier et matricide.

Si la pièce met du temps à se mettre en place et que les tergiversations d’Oreste au cours du premier acte m’ont un peu lassée, le propos gagne en intensité dans le second acte et, surtout, dans la joute verbale entre Oreste et Jupiter une fois le crime commis.
Cette pièce est bien-sûr sur la liberté de l’individu. Jupiter, et avec lui toute religion, est largement mis à mal par un Oreste transpercé par la réalisation de sa liberté. Et c’est une pièce sur le remords, les mouches en étant la vivante métaphore. Si la partie sur le remords ne m’a pas tout à fait convaincu, même si la réaction d’Electre, dépassée par son crime et par la réalisation de ce qu’elle a fait et le contraste qu’elle incarne face â Oreste est bien amené, la vision de la liberté que donne cette pièce semble déjà un résumé des positions existentialistes de Sartre.
Oreste, exilé pour échapper à la mort auquel le régicide Egisthe voulait le vouer, a reçu une éducation sans entrave. Mais cette liberté est difficile à porter, elle est légère, tellement légère qu’Oreste ne semble pas toucher terre et survoler sa vie et ce monde. C’est son acte radical qui l’ancre dans le monde et le met sur son chemin à lui et à nul autre. En bon Sartrien, Oreste nous dit que l’action est indispensable, et surtout une action en accord avec ses principes. « Mais que m’importe : je suis libre. Par-delà l’angoisse et les souvenirs. Libre. Et d’accord avec moi. » clame-t-il à sa sœur qui elle est rongée par le remords (p. 224, Scène 1, Acte 3). Oreste se révèle certes fort, au-dessus des Dieux, inflexible, mais peut-être amoral aussi, et c’est là qu’il me semble que le système de pensée de Sartre a ses limites, mais c’est une autre histoire.

Enfin, je ne peux m’empêcher de revenir sur le contexte historique, puisque cette pièce a été créée en 1943, au Théâtre de la Cité dans un Paris occupé. Pourtant, je n’ai pu y voir l’appel à la résistance que certains veulent y lire. Il est certes question d’engagement (et cet engagement semble pouvoir être légitime jusque dans l’assassinat), mais rien, absolument rien, ne me fait penser à la Resistance, que Sartre a d’ailleurs bien peu défendu. J’ai vu dans cette pièce un message beaucoup plus large, et certainement pas l’acte d’un Sartre politiquement engagé. Cela perme certes à cette pièce de conserver tout son intérêt au-delà de l’époque qui l’a vue naître ce qui doit être mis au crédit de Sartre l’auteur, mais cela fait me semble-t-il un argument de moins pour les défenseurs de Sartre l’homme.
Je n’ai pu cependant m’empêcher de penser à l’Antigone d’Anouilh, qui, je l’ai découvert, a été créée à peine six mois plus tard, en février 1944 au Théâtre de l’Atelier. Le même procédé de la réécriture d’un mythe est utilisé, avec ici un message de liberté de penser et de nécessité d’agir contre un ordre jugé injuste, même si la lutte est perdue d’avance, bien plus clair. Antigone m’a semblé une pièce beaucoup plus forte que Les Mouches, qui happe du début à la fin et ébranle profondément le lecteur, une des rares pièces que je relis avec plaisir et que j’espère vraiment pouvoir voir un jour. Les Mouches, au début plus lent même si le troisième acte dédommage le lecteur pour cette faiblesse, est aussi une lecture qui donne à réfléchir et qui, même si elle n’emporte pas tout à fait mon adhésion, me fait penser que, décidemment, j’aime le Sartre de ses premiers écrits, qu’il y a une vision de la vie dans laquelle puiser, et je ne manquerais pas, dans la salle d’un théâtre ou dans les pages d’en livre de venir à nouveau m’y abreuver.

12greuh
Jun 20, 2013, 5:48 am

J'ai essayé "La Philosophie du Porc" et n'ai pas réussi à le terminer... Quoique je crois qu'il s'agit d'un Nobel de la Paix et non de la Littérature.
Tiens, puisque tu kiffes les défi, y'en a un, assez facile, là : http://lectureslibres.blogspot.com/2013/06/civblogger-2013.html

13raton-liseur
Jul 2, 2013, 1:51 pm

Effectivement, La Philosophie du porc est une œuvre de Xiaobo Liu et a reçu le prix Nobel de la Paix en 2010, pour ses « efforts durables et non violents en faveur des droits de l’homme en Chine. » Je dois avouer que je lis peu d’essais et que ton appréciation ne m’encourage guère à sortir de mes sentiers battus.
Merci pour l’idée, mais je crois que je suis une lectrice fondamentalement solitaire (hormis mes notes de lecture…), et que je n’arriverais pas à entrer dans le système de ce défi…

14raton-liseur
Jul 2, 2013, 1:52 pm

Je me souviens avoir lu Les dieux ont soif en Troisième, lecture obligatoire des cours de collège, et de m’être interrogée sur pourquoi cette œuvre que j’avais trouvée sans relief (oui, déjà à l’époque j’avais des avis tranchés et parfois cinglants…) était au programme des cours de français. Je ne savais même pas à l’époque qu’Anatole France avait obtenu le prix Nobel (en 1921).
Le voir apparaitre sur la liste des lauréats du prestigieux prix n’influencera pas mon jugement, mais je me suis dit qu’il fallait que je lui offre une seconde chance. J’ai pris l’occasion de quelques nouvelles audio pour le redécouvrir et, si ce fut un agréable moment, cela ne fera pas de moi une admiratrice d’Anatole France, dont le style me paraît trop classique et lisse pour me toucher, et dont les sujets sont assez éloignés de mes centres d’intérêt.
Je fais donc une entorse à ma propre règle, en classant en « flânerie » la première œuvre que je lis pour un prix Nobel de la décennie 1920, car je ne pense pas que cette lecture d’une sélection de nouvelles soit assez représentative de l’auteur pour se qualifier pour ce défi, et car j’ai dans l’idée une lecture plus ambitieuse pour cette décennie.

15raton-liseur
Editado: Jul 4, 2013, 3:14 pm

Flânerie (Décennie 1920) - Le Puits de Sainte Claire (sélection) - Anatole France
Dans le prologue au recueil de nouvelles Le Puits de Sainte Claire, Anatole France dit tenir ces histoires du Révérend Père Adone Doni, avec qui il voyagea sur la route de Monte Oliveto. Cela se reflète dans ces trois nouvelles extraites de ce recueil, qui ont toutes pour cadre l’Italie et sont des paraboles édifiantes pour les pécheurs que nous sommes.
Le caractère religieux n’est certes pas ce que je préfère mais, hormis Les Pains noirs qui est assez classique, les deux autres œuvres sont assez originales et plaisantes, surtout Lucifer, qui disserte sur le pouvoir des peintres pour convertir les âmes et sur les traits sous lesquels Lucifer doit être représenté.
Ma mère aime à raconter que mes frères, alors très jeunes et semble-t-il bavards, se sont tus pendant près d’une heure après que nous ayons visité pendant les vacances la danse macabre de Kermaria an Iskuit à Plouha. Cette nouvelle m’a rappelé cette petite anecdote familiale et m’a fait passé un agréable moment.

16raton-liseur
Jul 24, 2013, 1:55 pm

Le titre de la pièce Six personnages en quête d’auteur m’a toujours intriguée, mais j’avais peur d’une pièce un peu trop intello et se regardant le nombril, si bien que je n’ai jamais pris le temps de la lire. En la trouvant libre de droits et parce que je cherchais un prix Nobel de littérature pour les années 30 (les défis de lecture font faire de drôles de choses de temps en temps…), je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais de faire une petite excursion littéraire du côté de cette œuvre fameuse.
C’est ma première rencontre avec Pirandello, probablement la seule car, outre cette pièce qui m’intriguait, je ne crois pas que son univers soit celui que je recherche habituellement dans mes lectures. Dans cette disposition d’esprit, je n’attendais pas beaucoup de cette lecture, sinon combler un des nombreux trous dont est mitée ma culture livresque. J’ai donc été plutôt agréablement surprise, prenant un certain intérêt à cette lecture, et me disant que, pourquoi pas, je pourrais aller la voir au théâtre, même si ce ne serait pas mon premier choix.

17raton-liseur
Editado: Jul 24, 2013, 1:58 pm

4. Six personnages en quête d’auteur - Luigi Pirandello
LE PERE. – Le drame pour moi est là tout entier, monsieur : dans cette conscience que j’ai que chacun de nous – voyez-vous – se croit « un seul », alors que c’est faux : il est « cent », monsieur, il est « mille », selon toutes les possibilités d’être qui sont en nous : il est « un seul » avec celui-ci, « un seul » avec celui-là – et ces « un seul » différents au possible ! Et cela, en même temps, avec l’illusion d’être toujours « un seul pour tout le monde », et toujours « cet un seul » que nous croyons être dans tous nos actes. C’est faux ! c’est faux ! Nous nous en apercevons bien, lorsque, dans l’un de nos actes, nous nous retrouvons soudain, par un hasard des plus malheureux, comme accrochés et suspendus : nous nous apercevons, veux-je dire, que nous ne sommes pas tout entiers dans cet acte, et que ce serait donc une atroce injustice que de nous juger d’après ce seul acte et de nous maintenir accrochés et suspendus au pilori pendant une existence entière dans cet acte ! (p. 24).
Le titre est assez explicite pour que je n’aie pas besoin de faire un résumé. Du théâtre dans du théâtre, ou plus exactement de la création littéraire dans la création littéraire, voila une situation de mise en abyme finalement assez classique. Mais c’est sans compter l’étonnement de la première page, lorsque, moi qui m’attendais, sans raison véritable, à trouver six personnages, je me retrouve devant une liste d’une bonne douzaine d’acteurs !
L’œuvre est donc la confrontation entre les personnages qui sont la réalité de la fiction, et les acteurs, réels mais incarnant des personnages fictifs. « Vous avez compris ? / - Moi ? Non ! / - Eh bien, moi non plus ! » (dialogue entre le Directeur et le Grand premier rôle masculin, p. 8)

Ce fut une lecture intéressante, instructive, mais ce ne sont pas forcément des adjectifs très flatteurs sous ma plume. C’est plutôt une façon de dire que la lecture valait certes le détour, que je ne la regrette pas, mais que je n’y ai pas pris particulièrement de plaisir.
La pièce est cependant moins obscure que ce que je craignais. Je n’en ai peut-être pas perçu toutes les subtilités, mais je pense en avoir saisi l’essentiel. Et le plus intéressant, me semble-t-il n’est pas la mise en abyme théâtrale (qui est certes un art que je connais peu et qui ne m’intéresse que marginalement), mais la réflexion sur la réalité de la personnalité humaine. Apres la lecture il y a peu de Huis clos de Sartre, où l’homme se définit par ses actes, ou plus exactement par son acte déterminant, celui qui le marque et le range comme un salaud ou un brave (pour prendre l’exemple le plus emblématique, celui de Garcin), ici Pirandello prend un parti inverse, et fait dire, au père surtout, la complexité de l’homme, et peut-être l’incapacité à comprendre la personnalité, l’essence d’une personne, protéiforme selon les situations et les interlocuteurs, changeante selon les instants. Qui connaît, où se fait la synthèse de ces différentes facettes ? Cette synthèse est-elle-même possible, et rend-elle mieux compte de ce qu’est une personnalité ? Pirandello ne répond pas et laisse le lecteur comme le spectateur dans le doute.
Et il enfonce même le clou, si je peux utiliser une expression aussi triviale, en sous-entendant que finalement, les personnages de fiction, et en particulier ceux du théâtre, pour qui les traits sont forcés, l’action concentrée dans un instant, pourraient être plus réels que nous-mêmes puisqu’après tout ils sont de fait définis uniquement par l’action qui constitue leur apparition sur scène et leur drame. Mais encore une fois, une pirouette, le personnage peut être vrai, mais la représentation que l’on en fait, passée au crible des conventions théâtrales, n’est qu’une représentation, une image imparfaite de ces personnages.
Le mot de la fin de cette pièce serait donc peut-être que la vérité est encore à trouver et que, finalement, cette pièce de théâtre est plus vraie sur le papier que sur les planches, comme semble le suggérer une didascalie qui commence ainsi : « Celui qui voudrait tenter une traduction scénique de cette pièce… » (p. 8-9) et dont le conditionnel m’enchante. Paradoxe jusqu’au bout, paradoxe que Pirandello veut probablement laisser insoluble, et je le laisserai ainsi aussi.

18raton-liseur
Set 12, 2013, 1:56 pm

Doit-je avouer que je ne connaissais pas le nom de Sienkiewicz jusqu’à il y a peu. Ecrivain semble-t-il majeur puisqu’il a obtenu le prix Nobel en 1905, auteur de Quo Vadis (je connais l’œuvre de nom, je n’aurais pas pu citer son auteur), un livre qui ne m’attire pas du tout… Difficile début pour entrer dans l’œuvre de cet auteur… Alors j’ai profité d’une nouvelle glanée sur le site de la Bibliothèque Russe et Slave, et présentée comme l’œuvre qui l’a fait connaître, pour apprendre à connaître cet auteur.

19raton-liseur
Editado: Out 1, 2013, 6:33 pm

5. Ianko le musicien - Henryk Sienkiewicz
Le moindre brin d’herbe avait sa chanson ; les moineaux qui pépiaient dans le griottier, près de la cabane, avaient une mélodie particulière. Le soir, il écoutait les mille bruits de la campagne, dans le sommeil de la terre.
Si on l’envoyait dans les champs épancher le fumier, le vent lui-même s’amusait à siffler et à gronder dans les fourches.
(p. 3).
C’est une jolie surprise que cette nouvelle, dans un style mêlant réalisme et mélancolie. Ianko, fils d’une fille-mère, enfant pauvre et difficilement aimé, n’a pour lui que son oreille musicale, et il peut se perdre des heures dans une prairie à écouter la musique de la brise dans l’herbe. Mais quel destin pour une âme d’artiste dans un coin déshérité de la campagne polonaise ?
J’ai pensé au Mozart assassiné de Saint-Exupéry dans Terre des Hommes en lisant cette nouvelle, un texte qui m’avait beaucoup marqué et qui est peut-être beaucoup dans ce que je suis devenue. Mais ici, Sienkiewicz se place dans un registre beaucoup plus bucolique et fataliste, faisant un tableau de ce frêle enfant, et non une fable dont on pourrait tirer un enseignement. Cela donne une lecture au goût doux-amer, un peu de tristesse dans les doigts qui tournent les pages en sachant que rien de bon ne peut attendre Ianko.
Une jolie nouvelle qui se lit en quelques minutes seulement mais qui m’a transporté bien loin de l’avion dans lequel je me trouvais pour rentrer enfin chez moi, et j’ai laissé longtemps errer mes yeux sur les nuages en-dessous de moi après avoir refermer ce petit opuscule, rêveuse et un peu triste.

20raton-liseur
Out 1, 2013, 1:41 pm

Hemingway fait partie de ce que j’appellerais les auteurs d’un livre. Pour qui sonne le glas est un de mes meilleurs souvenirs de lecture, pendant des vacances caniculaires où pourtant je ne pouvais m’extraire de mon sac de couchage transformé en étuve par le soleil matinal tant je voulais continuer à lire ; c’est le premier livre que j’ai regretté de finir et dont j’ai freiné la lecture pour qu’il me dure un jour ou deux de plus.
Après cela, L’adieu aux armes m’est tombé des mains, Les neiges du Kilimandjaro m’a laissé indifférente… J’ai retrouvé un peu de l’Hemingway que j’avais aimé dans la nouvelle La Dénonciation que j’ai lue il y a peu, encore une histoire de la Guerre Civile espagnole, et je me suis alors demandée si Hemingway était l’homme d’un évènement plutôt que l’homme d’un livre.
Je voulais tout de même lire Le Vieil Homme et la Mer, dont on disait tant de bien (en général je n’aime pas cela, car alors la déception est souvent au rendez-vous), mais j’attendais le moment opportun, et il est venu cet été, au début de jolies vacances qui allaient cependant se passer loin de la mer. Ce fut une lecture en demi-teinte, bien mais probablement pas à la hauteur de mes attentes. Heureusement que je ne l’ai pas lu au collège alors qu’il est au programme de certaines classes, je n’aurais pas pu en apprécier les descriptions et les images. Lecture d’adulte donc, et je suis contente que ce défi de lecture de nobélisés m’ait permis de faire le tour des livres qui attendaient patiemment leur heure dans ma bibliothèque et que j’ai enfin décidé d’ouvrir à la faveur de ce prétexte.

21raton-liseur
Out 1, 2013, 1:42 pm

Flânerie (Décennie 1950) - Le Vieil Homme et la Mer - Ernest Hemingway
Ce que ça peut être facile, les choses, quand on a perdu, pensa-t-il. J’aurais jamais cru que c’était si facile. (p. 170).
Un livre que j’avais mis de côté, comme une pépite possible à déguster lorsque le moment serait venu. Et voilà que j’ai profité des premières journées de vacances pour enfin ouvrir ce livre, dans une vieille édition du Livre de Poche que j’aime particulièrement, n’étant qu’un immense bout de mer bleu légèrement rayé de blanc, de la première à la quatrième de couverture, avec le titre et le nom de l’auteur presque comme des intrus. J’avais envie de mer, et je me suis dit qu’il était temps d’embarquer avec le vieux Santiago pour cette lutte dont j’avais tant entendu parler et dont je savais si peu.
Je ne conterai pas l’histoire, car je n’en savais pas plus que le laconique résumé « la lutte entre un homme et un poisson » et j’ai apprécié de découvrir un à un les étapes de cette lutte. Il a quand même fallu que je regarde les dernières lignes pour savoir si le Vieux s’en sortait finalement ou pas, mais je n’en dirai rien ici.
J’ai appris par la suite que ce court roman a été inspiré par un fait divers rapporté dans un journal. J’imagine bien comment cette histoire a pu fasciner Hemingway, alors qu’il la lisait sur une terrasse en sirotant un rhum. Il en fait un hymne à deux de ses amours, Cuba et la pêche au gros. Lui pratiquait cette pêche comme un sport, le vieux Santiago pour vivre. Mais il fait en partie du Vieux son porte-parole, et ce n’est pas seulement l’acte de pêcher qui importe, c’est la relation avec le poisson, adversaire à la taille de l’homme, adverse que l’on respecte, que l’on aime presque, que l’on humanise en lui prêtant les mêmes sentiments qu’à nous-mêmes. Je ne suis pas nécessairement sensible à ces arguments, qui me rappellent un peu trop les justifications de la corrida, mais le fait que le Vieux soit pêcheur par profession et par nécessité, et qu’il sache donner à son geste quotidien une dimension et une grandeur presque philosophiques me réconcilie avec ce texte. Ce qui est plaisir et art de la mise à mort pour Hemingway sera pour le vieux Santiago le geste sûr et plein de sens de l’artisan qui respecte et donne un sens à son travail.

Le Vieil Homme et la Mer aurait donc pu être un beau et puissant texte, mais j’ai été dérangée par le style d’Hemingway, beaucoup trop lisse, ne reflétant ni la poésie ni l’âpreté de ce vain combat. Il a fallu que je m’y reprenne à deux fois pour comprendre que le combat entre l’homme et le poisson venait de trouver sa résolution, moment attendu depuis le début du livre et qui est évacué en moins d’une demi-phrase elliptique. Dommage que le style de l’auteur, que j’ai déjà peu apprécié dans d’autres de ses œuvres, ne soit pas à la hauteur de son sujet et finisse par le desservir.
En définitive, voilà une lecture en demi-teinte, l’impression que ce livre aurait pu être merveilleux, et qu’il est seulement pas mal. Peut-être en attendais-je trop, en ayant tant entendu parler et en m’étant noyée plusieurs fois dans les vagues de sa couverture sans oser l’ouvrir. Pas un échec, non, car j’ai aimé mettre mes pas dans ceux du vieux Santiago, j’ai imaginé ses souffrances et j’ai admiré sa lutte au-delà de ses forces, mais le vieux Santiago méritait peut-être plus bel hommage, figure emblématique des petits pêcheurs qui affrontent quotidiennement des poissons plus grands qu’eux sans même voir à leur juste mesure leur courage et leur persévérance.

22raton-liseur
Nov 20, 2013, 12:11 pm

Camilo José Cela est un nom qui me semblait familier, sans rien savoir de cet auteur, sinon qu’il était de langue espagnole. J’ai donc profité de ce défi de lecture pour aller voir du côté de sa bibliographie et j’ai choisi un livre un peu au hasard, parce qu’il semblait être un des plus lus, un de ses livres emblématiques, le premier aussi. Et puis le thème du criminel revenant sur sa vie avant son exécution n’était pas pour me déplaire, même si je n’espérais pas une redite du Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo.
Cela m’arrive rarement de choisir un livre sans en savoir plus sur l’auteur et sans avoir même tenu le livre dans les mains, mais une fois n’est pas coutume. Et si l’expérience fut douloureuse, je ne la regrette pas, même si elle a plus fait pour ma culture littéraire et que pour mon plaisir de lectrice.

23raton-liseur
Editado: Nov 28, 2013, 9:02 am

6. La famille de Pascal Duarte - Camilo José Cela
On tue sans penser, je le sais par expérience ; parfois sans le vouloir. On hait, on hait intensément, férocement et l’on ouvre le couteau ; avec le couteau bien ouvert, on arrive, déchaussé, près du lit où dort l’ennemi. C’est la nuit, mais par la fenêtre entre le clair de lune ; on voit bien. Sur le lit, le mort est étendu, celui qui sera le mort. On le regarde, on l’écoute respirer ; il ne bouge pas, il est tranquille comme s’il n’allait rien se passer. (p. 89, Chapitre 12).
Une lecture qui n’a rien d’agréable, mais il est probable que c’est ainsi que l’a voulu son auteur. Premier roman de Camilo José Cela, paru en 1942, qui marque le début d’un courant littéraire espagnol, le tremendisme, de l’espagnol tremendo, littéralement terrible, mais à rapprocher de bestial, brutal. Et effectivement, ce livre, notamment dans sa première moitié, est d’une crudité que j’ai trouvée à la limite du soutenable, d’autant qu’elle m’a parue gratuite, sans propos, se suffisant à elle-même. Si j’avais su tout cela avant, je n’aurais probablement pas ouvert ce livre, et je ne m’en serais probablement pas moins bien portée. Mais la chose est faite, et j’essaie d’en tirer une leçon, un message, quelque chose, mais je ne sais trop que penser.
Pascal Duarte, condamné à mort, revient sur sa vie et essaie d’obtenir quoi ? un pardon, une justification, une absolution ? Il décrit une vie qui commence et finit dans le sordide, la pauvreté physique et morale la plus abjecte. On est loin du romantisme de la pauvreté, ou les simples et nobles bons sentiments rendent les conditions de vie acceptables voire souhaitables. Non, rien de tout cela ici, et j’ai même plutôt eu envie de me détourner de ce personnage, de ne pas voir cette sorte de condamnation sociale irrémédiable. Mais je n’ai pas pu non plus trouver dans ces conditions des excuses au comportement de cet homme. Il tue, sous le coup de la colère ou de sang froid, il s’exprime mieux avec le couteau qu’avec des mots, mais je ne peux arriver à y voir comme certaines critiques ou analyses picorées à droite ou à gauche le visage d’un innocent, victime des circonstances ou de son milieu. Je n’y vois pas pour autant non plus la figure sanguinaire ou le monstre complet décrit ailleurs, même si il a pour moi une part d’irréductible incompréhension.
Cette diversité d’opinions ou d’interprétations sur le personnage est d’ailleurs intéressante en soit, et me semble illustrer la difficulté à interpréter le propos de l’auteur. Ou bien tout simplement, son intention n’est pas à rechercher dans la figure de Pascal Duarte. Elle serait alors peut-être dans les descriptions du sordide, de ce réalisme poussé à l’extrême, jusqu’à la nausée, refusant au lecteur le confort d’un monde idéalisé, mettant impitoyablement du vinaigre sur la plaie, et refusant tout type d’espérance ou de réconfort.
Ce livre a fait grand bruit à sa sortie en Espagne au milieu de la première décennie franquiste (un mouvement pour lequel Cela a combattu pendant la Guerre Civile, avant de s’en détacher et de maintenir une attitude souvent ambigüe face au régime), et son auteur, avant de se voir attribuer le Prix Nobel, est devenu une figure incontournable de la littérature espagnole. Sa réception et son importance dans l’histoire littéraire récente du pays en dit peut-être plus sur le climat intellectuel dans ces années-là que le livre en lui-même.

24raton-liseur
Editado: Jan 6, 2014, 3:43 pm

Une découverte fortuite de cet auteur, une lecture que je n’avais pas envisagée dans le cadre de ce défi de lecture. Même si la lecture n’est pas impérissable, j’en retire l’envie de voir ce que donne cet auteur dans ses œuvres plus ambitieuses. Cela reste donc une affaire à suivre.
Et je me retrouve avec la décennie 1920 couverte, même si j’avais d’autres idées pour cette période, mais les contingences de la lecture ne me permettront peut-être pas de lire les mille pages de Kristin Lavransdatter, de Sigrid Undset, que j’espérais lire. Cela, ce sera pour des moments de lecture plus posés, tout comme Les Paysans de Władysław Reymont que je viens de rajouter à ma liste déjà bien longue d’idées de lecture.

25raton-liseur
Editado: Jan 6, 2014, 3:43 pm

7. Dans la brume - Władysław Reymont
Et toujours les cloches appelaient les égarés ; elles appelaient comme des mères en détresse, de la voix profonde de l’inquiétude ; tout le rivage résonnait d’un sanglot de bronze comme si la terre entière eût douloureusement supplié l’océan d’être pitoyable. (p. 7).
Une petite nouvelle découverte par hasard au détour d’un furetage dans une bibliothèque virtuelle. Un auteur polonais, Nobel de surcroît (et dont je n’avais jamais entendu le nom avant de le lire ce jour-là), qui écrit sur la Bretagne, j’ai cédé à la curiosité de cette drôle de combinaison.
Tout cela pour un résultat finalement moyen. Il y a certes quelques jolies phrases, mais rien qui ne dépasse une narration ordinaire, et je n’ai pas su partager l’angoisse de l’attente qui se prolonge, l’alternance de la peur et de l’espoir, les prières et les imprécations.
Ce premier contact m’a cependant donné envie de connaître mieux cet auteur et, peut-être, si je peux mettre la main sur ce livre, lire Les Paysans, qui semble son œuvre majeure.

26raton-liseur
Editado: Mar 25, 2014, 4:25 pm

Romain Rolland fait partie de ces noms que je sais célèbres mais qui ne m’évoquent pour ainsi dire rien. Ce défi de lecture était donc une bonne idée pour être curieuse et, profitant d’une vente d’occasion, je me suis laissée tenter par Colas Breugnon, un roman qui semblait assez célèbre tout en étant présenté comme en marge de l’œuvre de cet écrivain. Je me disais que je ne risquais pas grand-chose pour 25 pesos. J’ai mis tout juste 81 pages à réviser ce jugement…

Je n’ose donc pas compter cette lecture pour la décennie 1910 que j’espérais qu’elle pourrait représenter et je continuerai à flâner dans les rayonnages poussiéreux et peu connus de cette décennie pour y trouver un représentant qui sache mieux m’intéresser.
Avec cette lecture, je réussis la première partie de mon défi, certes pas la plus ambitieuse, qui était de découvrir au moins six nouveaux auteurs que je n’avais jamais lu auparavant. C’est maintenant chose faite, même si cette dernière découverte n’est vraiment pas un succès…

27raton-liseur
Editado: Mar 25, 2014, 4:12 pm

Flânerie (Décennie 1910) - Colas Breugnon - Romain Rolland
C’est peu dire que je me suis ennuyée à la lecture de ce livre, puisqu’après des efforts répétés, je me suis avouée vaincue à la page 80.
Certes il est dit que ce livre n’est pas représentatif de l’œuvre de cet auteur, mais c’était une bonne occasion de se familiariser avec cet auteur, grâce à un roman assez court par rapport à la somme qu’est un Jean-Christophe par exemple. Et naïvement, je pensais qu’une œuvre relativement mineure (mais pas la plus obscure de Romain Rolland) d’un Prix Nobel se devait d’être de qualité.
Mais j’ai eu l’impression d’un livre qui n’avance pas, j’ai eu la sensation de cerner le personnage et le propos de l’auteur en à peine une vingtaine de pages, puis de tourner en rond, avec un propos inexistant et un style pour le moins horripilant.

Colas Breugnon, bon vivant bourguignon au temps de Louis XIII, a tout compris de la vie. Il est revenu de tout et affiche (en compagnie choisie) son cynisme face à la religion ou au pouvoir, il ne s’en fait pas, prend la vie comme elle vient et, surtout, ne dit jamais non à un banquet ou une bonne bouteille.
Romain Roland a semble-t-il, en ces temps troublés de première guerre mondiale pendant lesquels il écrit ce roman, voulu célébrer une certaine image du français gaulois et hâbleur. Une image qu’il estime plus forte que les vicissitudes historiques et qu’il veut rappeler ici au souvenir de ceux qui sortent des tranchées. Certes, le pari est osé, publier un livre léger en ces années de deuil et de difficulté, mais je ne pense pas que cette posture difficile suffise à racheter ce livre à mes yeux de lectrice.
Roman sans trame, les petites aventures de Cola Breugnon sont l’occasion d’asséner de façon peu subtile des évidences ou des légèretés sans intérêt. Quant à style, je suis frappée que le mot qui revient dans toutes les présentations que j’ai lues (qui certes se copient certainement entre elles) est « truculent ». Une façon de dire « rabelaisien à côté de la plaque » ? De ne pas dire « d’un enjouement qui sonne faux et n’arrive qu’à lasser » ?
Une note de lecture un peu dure, car je ne trouve aucun point positif à ce livre que je n’ai pas pu finir, mais j’espérais peut-être beaucoup de cette rencontre et je n’ai même pas pu atteindre la moitié du livre. Je ne suis pas sûre, hélas, après cette déception, que je retenterai l’aventure avec Romain Rolland.

28raton-liseur
Abr 1, 2014, 2:59 pm

Soljenitsyne, un nom que j’ai souvent entendu dans les médias quand j’étais plus jeune. Dissident politique, voix incontournable lorsque l’on évoquait les derniers soubresauts de l’empire soviétique… Je savais qu’il avait écrit des livres, je savais qu’il avait eu le prix Nobel, mais je n’avais jamais franchi le pas, ne pouvant m’empêcher de me demander si ce prix Nobel couronnait effectivement une œuvre littéraire, ou plutôt un engagement politique. Même si la lecture d’un livre est bien peu pour se faire une opinion sur un auteur, je pense pouvoir maintenant dire que ce prix Nobel me paraît plus politique que littéraire, même si je ne peux nier que le style assez sec de l’auteur et son réalisme me semblent dans la veine des auteurs qui ont remporté ce prix depuis quelques décennies.

29raton-liseur
Abr 1, 2014, 2:59 pm

8. Une Journée d’Ivan Denissovitch - Alexandre Soljenitsyne
Le propos de La journée d’Ivan Denissovitch est simple et respecte les trois règles de l’unité de temps, de lieu et d’action des pièces de théâtre classiques. Comme l’indique son titre, on suit dans ce roman le personnage d’Ivan Denissovitch Choukhov pendant une journée entière, dans un camp dont on ne saura pas le nom, où il purge une peine de dix ans (renouvelable…) pour avoir été soupçonné de trahison. Il ne se passe rien que de très ordinaire pendant cette journée, ce livre se veut justement un témoignage de ce qu’est la vie dans ces camps, la lutte de chaque instant pour survivre, pour gagner un jour après l’autre, une heure après l’autre. On pense à être bien placé au réfectoire, à se chauffer, à rendre un petit service en espérant que peut-être cela vaudra un bout de pain ou une cigarette.
Le propos est intéressant, le parti pris de suivre une seule et même personne sur une journée est aussi intéressant, et c’est même probablement cela qui m’a fait choisir ce livre dans l’œuvre de Soljenitsyne. Pourtant, j’ai finalement peu apprécié ma lecture. Le style sec, journalistique peut-être, m’a laissé en-dehors du sujet ; à aucun moment je n’ai senti d’empathie pour le personnage malgré la difficulté de sa situation, malgré l’incroyable énergie qu’il faut pour décider de survivre et pour mettre en place les systèmes et les réflexes de chaque instant afin de se donner le plus de chances possible pour être encore là le jour suivant. Soljenitsyne montre à chaque instant comme il est important de savoir s’il faut être le premier dans la file pour la soupe, ou bien le dernier à sortir pour l’appel. Tous ces détails absolument insignifiants mais qui veulent dire un peu plus de chaleur, un peu plus de nourriture, un peu plus de chance de ne pas passer le point de non-retour, qui est de ne plus pouvoir lutter et d’être emporté à la moindre occasion. A la lecture de ce livre, cette attention constante du personnage m’a littéralement épuisée, et j’ai vraiment le sentiment que seuls ceux armés d’une volonté de survivre sans faille pourraient s’en sortir, même si cette volonté ne sera pas suffisante à elle seule.
Mais, si Soljenitsyne fait toucher du doigt cette importante de rester en alerte à chaque instant, je n’ai ressenti ni le froid ni la faim avec Choukhov, ni même l’arbitraire de cet enfermement. Je suis restée extérieure à ce livre, je n’ai même pas été vraiment touchée ou révoltée. Alors peut-être que ce livre a eu une autre résonnance lors de sa parution, et le courage qu’il a fallu pour récolter les témoignages, pour survivre soi-même à ces conditions et pour les coucher sur le papier malgré la censure et la peur sont à saluer. Mais cela ne donne pas une valeur littéraire à ce livre, du moins à mes yeux.
Il n’en demeure pas moins, même s’il s’agit d’un prix Nobel politique (et ce ne sera ni le premier ni le dernier dans l’histoire de ce prix), que ce livre est intéressant pour ce qu’il dit d’une époque, tant dans ses pages que par l’histoire de son écriture et de sa publication. C’est un livre intéressant à lire pour ce qu’il dit donc, pas pour la façon dont il le dit, un livre que je suis contente d’avoir lu même s’il ne m’a pas touché. Une littérature engagée, une littérature qui dit son époque et qui fait devoir de mémoire.

30raton-liseur
Abr 1, 2014, 3:00 pm

Je n’avais jamais entendu prononcer le nom d’Alice Munro avant l’annonce de son prix Nobel à la fin 2013. Ayant entamé ce défi de lecture quelques mois plus tôt, je ne pouvais pas ne pas l’inclure dans ma liste de lecture. C’est maintenant chose faite, et, même si pour ma part je ne renouvellerai pas l’expérience, j’espère qu’elle continuera à trouver son public, car c’est une belle plume.

31raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 6:54 pm

Flânerie (Décennie 2010) - Les Lunes de Jupiter - Alice Munro
Je me figure que je suis une vieille fille, d’une autre génération. On ne manquait pas de vieilles filles dans ma famille. Je descends de gens sans fortune, terriblement secrets, tenaces, économes. Comme eux, je savais tirer le meilleur parti de ce que j’avais. Un bout de soie de Chines plié dans un tiroir, usé d’avoir été froissé entre les doigts, dans le noir ; ou bien la lettre unique, cachée sous le linge de jeune fille, qu’on n’a jamais besoin d’ouvrir ni de lire parce qu’on en connaît tous les mots par cœur et que le simple toucher suffit à rappeler le tout. Peut-être rien de si tangible, rien que le souvenir d’un mot ambigu, d’un ton d’une fortuite intimité, d’un regard dur, désemparé. Cela suffisait. Il n’en fallait pas plus pour me soutenir, pendant des années, tandis que je frottais les seaux à lait, crachait sur mon doigt pour tâter le fer à repasser, suivais les vaches le long du sentier raboteux, parmi les aulnes et les marguerites jaunes, que j’étendais sur la clôture les bleus de travail, pour qu’ils sèchent, et les torchons sur les buissons. (p. 169, “L’autobus de Bardon”, Partie 1).
J’aime bien les nouvelles, j’aime bien (certains) prix Nobel, alors je me suis dit qu’il fallait que je découvre cet auteur dont je n’avais jamais entendu le nom avant que ne lui soit décerné ce fameux prix à l’automne dernier. Peut-être aurais-je pu m’en passer.
J’avais lu qu’Alice Munro écrivait principalement des histoires de femmes, souvent à des moments cruciaux de leur vie. Ce recueil est donc je suppose représentatif de son œuvre.
Et je me suis ennuyée, seule la taille raisonnable du livre m’a permis de ne pas me poser la question de savoir si je le laissais tomber ou pas… Je veux bien croire qu’Alice Munro ait trouvé son public, car elle a une plume sûre et sait très certainement planter un décor, décrire une ambiance.
Mais ses nouvelles s’arrêtent là. Je ne vois pas les personnages évoluer, et le découpage des nouvelles est telle que l’on prend parfois les choses en cours et, surtout, on laisse toujours les personnes au milieu du gué, mais d’une façon qui ne m’a pas paru susciter l’imagination pour essayer d’envisager la suite, ou ce que nous lecteurs aurions pu faire dans une telle situation.
Je suis donc restée en-dehors de ces nouvelles, qui n’ont suscité en moi aucune émotion malgré les situations décrites qui sont souvent âpres. Un livre à ranger parmi mes coups d’épée dans l’eau, non à cause d’une qualité médiocre, mais parce que je ne fais pas partie des lecteurs qui aiment ce type de littérature.

32raton-liseur
Maio 30, 2014, 11:16 am

Il est des auteurs dont on n’a jamais entendu parler. Et ce n’est pas parce qu’ils sont obtenu un prix Nobel que cela les sauve nécessairement de l’oubli. Sigrid Undset est un de ces auteurs de je n’avais jamais entendu parler avant qu’il ne soit mentionné par d’autres lecteurs participant à ce défi de lecture. Voyant que les critiques étaient toujours enthousiastes et puisque j’aime assez les auteurs nordiques du début du XXème siècle (Selma Lagerlöf et Knut Hamsun pour ne citer que deux Prix Nobel), je me suis laissée tenter. Et quitte à découvrir un auteur à l’aveugle, autant commencer par son livre le plus célèbre !
C’est Monsieur Raton qui m’a ramené le livre un jour, à ma demande, et quelle n’a pas été ma surprise lorsque j’ai vu son épaisseur. J’ai un peu révisé mes ambitions, et me suis dit que jamais je ne pourrai lire ce livre dans le cadre de ce défi, à un moment où je ne peux plus consacrer à ma lecture le même niveau d’attention qu’avant. Pourtant, l’idée a fait son chemin, et j’ai fini par me lancer dans ce livre.
Une découverte que je ne regrette pas ! La plus belle découverte faite dans le cadre de ce défi (qui n’est pas encore fini, mais ce sera difficile de rivaliser !), peut-être même la plus belle lecture depuis un bon moment. Un grand merci donc à Gwen21, l’organisatrice de ce défi, et aux lecteurs participants qui m’ont amenée vers ce livre. Même s’il n’y avait eu que cette découverte, ce défi aurait valu le coup !

33raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 6:53 pm

Flânerie (Décennie 1920) - Kristin Lavransdatter - Sigrid Undset
Tome 1 sur 3 - La Couronne
Tome 2 sur 3 - La Maîtresse de Husaby
Tome 3 sur 3 - La Croix
– Si tu ne m’avais pas rencontré dit Erlend, tu aurais pu passer des jours heureux avec lui, Kristin. Pourquoi ris-tu ?
– C’est que je me rappelle une chose que dame Aashild a dite un jour, répondit Kristin. Je n’étais alors qu’une enfant, mais c’était à peu près ceci : que les bons jours échoient aux gens raisonnables, mais que les meilleurs jours sont la récompense de celui qui a le courage d’être fou.
(p. 192, Chapitre 8, Partie 2, “La Couronne”, Tome 1, “La Couronne”).

C’était le cinquième jour après la Saint-Halvard. Une pluie douce tombait sans arrêt. Lorsque Kristin sortit dans la cour, elle sentit, apportée par le souffle doux du vent de sud, l’odeur de terre des champs fraîchement labourés et fumés. Le pays était brun sous la pluie de printemps ; l’air bleuissait entre les hautes montagnes et le brouillard montait à mi-hauteur sur les pentes. De petites clochettes tintaient dans les bosquets le long du fleuve gris qui coulait à pleins bords : dehors le troupeau de chèvres broutait les rameaux bourgeonnants. Ce temps qui avait toujours réjoui le cœur de son père, c’était la fin de l’hiver et du froid pour les gens et pour les bêtes ; on délivrait les troupeaux de leurs étroites et sombres étables et de leur trop frugale alimentation. (p. 589, Chapitre 8, Partie 2, “Husaby”, Tome 2, “La maîtresse de Husaby”).
Quelle épopée ! Pas de combat contre des dragons ou des armées invincibles, pas de quête du Graal, mais c’est tout de même bien d’une épopée qu’il s’agit. Celle d’une femme, Kristin Lavransdatter, qui, de la sortie de l’enfance jusqu’à son entrée dans la vieillesse, trace son chemin entre les codes de sa société, ses aspirations personnelles et ses interrogations spirituelles. Une belle fresque dans la Norvège du XIVème siècle, qui a emporté la lectrice que je suis au long cours de ses mille et quelques pages.
Si une partie du second tome m’a paru un peu moins intéressante parce que trop centrée sur la religion et tournant un peu en rond, lorsque Kristin voudrait être une femme et une mère bonne et aimante mais ne sait qu’être aigrie et acariâtre, j’ai aimé suivre cette femme dans sa rébellion juvénile puis dans sa détermination et enfin dans l’acceptation de sa maturité. Je n’ai pas encore vécu toutes les étapes de la vie de Kristin, mais j’ai aimé ce portrait de femme que j’ai senti juste, dans lequel je me suis par moments retrouvée, malgré la distance dans l’espace et dans le temps.
J’ai surtout aimé ce caractère indomptable et courageux, qui assume ses choix jusqu’au bout, qui ne regarde pas en arrière et ne se lamente jamais, qui assume aussi son individualité dans une société où elle pourrait se laisser dicter sa conduite, conscience de ses aspirations, de ses doutes, de sa force propre. Certaines réflexions font penser qu’elle pourrait se laisser cantonner à son rôle de femme, ne se mêlant pas par exemple de politique. Mais est-ce parce que c’est une affaire d’hommes ou parce qu’elle a son propre royaume à gérer, le domaine d’Husaby, l’avenir de ses enfants, et que c’est son choix de ne pas se mêler de ces vaines querelles. Kristin sait composer entre ce qu’elle est et la société où elle évolue pour être la femme qu’elle veut être et, au-delà des siècles, c’est une attitude qui a résonné en moi, un modèle dont je pourrais m’inspirer à un moment de ma vie où je jongle entre les différents rôles que je dois ou veux assumer et où les conséquences de mes choix passés ou récents se montrent dans toute leur irréversibilité.

Il m’est bien difficile de faire une note de lecture de ce livre qui aille au-delà de l’enthousiasme, car je ne saurais dire exactement pourquoi j’ai aimé ce livre. Le style est fluide, les descriptions belles, les personnages complexes et fouillés, mais tout cela me paraît bien plat, et certainement pas à la hauteur du plaisir que j’ai pris à cette lecture. Peut-être est-ce cet équilibre subtil que Sigrid Undset a su trouver entre d’une part un monde dont elle nous fait partager le quotidien mais que l’on sait hors d’atteinte (s’élancer à skis à travers les montagnes enneigées, s’asseoir au bord d’une rivière impétueuse, filer patiemment la laine pendant la veillée ou apprendre de sa mère comment brasser la bière) et d’autre part un personnage dont j’ai pu me sentir proche malgré nos chemins de vie bien différents, dont le caractère fort et complexe m’a montré une voie possible, m’a fait me pencher sur ma propre vie et m’interroger sur mes propres choix.
Une très belle lecture, une superbe découverte d’un auteur que j’espère pouvoir retrouver d’ici peu, et dont j’espère que les autres écrits dégageront la même force et m’emporteront tout autant dans un monde à la fois si loin et si proche du mien.

34raton-liseur
Editado: Maio 30, 2014, 2:18 pm

Il me faut avouer… Je ne connaissais pas l’écrivain suisse de langue allemande Carl Spitteler avant de commencer ce défi de lecture. Et ce n’est que parce que la décennie 1910 me posait problème (après ma tentative ratée avec Colas Breugnon de Romain Rolland) que je me suis penchée sérieusement sur cet écrivain. Et encore, ce n’est que parce que c’est l’un des deux seuls auteurs ayant reçu le prestigieux prix pendant cette décennie dont on trouve des œuvres (gratuites) en livre électronique que j’ai fini par me laisser convaincre.
J’ai décidé de lire cette œuvre peu connue plutôt que son roman le plus célèbre, Imago, d’abord parce que les histoires d’amour contrariées ne sont pas ma tasse de thé et ensuite par esprit de contradiction. En effet, Imago serait un des livres favoris de Freud et aurait inspiré le concept d’Imago (justement) à Jung (ne me demandez pas ce que c’est, je répète bêtement ce que j’ai lu sur la présentation de l’éditeur, la bibliothèque numérique romande, auquel je fais un peu de pub méritée au passage !). Etant allergique à la psychanalyse et à sa vision (que je trouve) réductrice des pulsions qui nous guide, je ne pouvais me résoudre à le lire…
La lecture de ce livre est donc un choix par défaut comme cela m’est rarement arrivé. Au final, une découverte intéressante (« Interesting » comme disent les anglais, ce qui se traduit au mieux par « mouais, bof, sans grand intérêt »), surtout pour ma culture générale. Un auteur ni inoubliable ni indispensable me semble-t-il, mais au moins, ça se lit mieux que Colas Breugnon !

35raton-liseur
Maio 30, 2014, 1:53 pm

9. Le Lieutenant Conrad : Le sombre Dimanche de Herrlisdorf - Carl Spitteler
J’aurais presque envie de classer ce livre sur mon étagère (bien courte) consacrée au théâtre. Unité de temps, de lieu (presque), d’action. Mais surtout, le plus important, l’écriture de Spitteler, faite de nombreux dialogues et quelques descriptions qui ressemblent à des didascalies tant elles sont fonctionnelles et semblent donner les indications nécessaires pour organiser une scène de théâtre et y faire évoluer les quelques personnages de ce drame.
Car il s’agit bien d’un drame. Un lieutenant fraîchement revenu de son service militaire aspire à être traité comme l’adulte qu’il est devenu et à être associé à la gestion de l’affaire familiale, l’auberge du Paon. Mais son père n’a aucune intention de partager son pouvoir, et l’atmosphère familiale est lourde de rancœurs dites ou non dites.
On entend souvent que la crise d’adolescence est un phénomène récent, celui de sociétés occidentales qui peuvent se payer le luxe de ces incartades. Ce livre, même s’il n’est pas si vieux que cela puisqu’il a été publié en 1898, montre qu’il n’en est rien, et que, à défaut de savoir si c’est un mal occidental, il semble que ce soit un mal ancien. Certes, le Lieutenant Conrad a bien 25 ans, mais c’est bien d’une crise d’adolescence qu’il s’agit. Vouloir être traité en adulte, en personne responsable, trouver sa place par rapport aux générations d’avant, savoir comment se positionner par rapport à l’héritage venu de ses parents, voilà les questions qui animent le lieutenant Conrad même s’il ne les formule pas ainsi. Certes, la figure paternelle ne rend pas ses interrogations moins amères, et, même si le livre se centre surtout sur le personnage éponyme, on sent bien que le père, soit parce qu’il se voit décliner soit parce qu’il est poussé par ce fils qui conteste son autorité jusque-là absolue, s’accroche à ses prérogatives comme une façon de refuser l’inéluctable de la vieillesse et du passage de relais en générations.
Ce drame familial se passe dans les verts alpages suisses, mais le paysage vivifiant est bien peu présent, et ne sert en rien à alléger l’atmosphère lourde qui pèse sur le lecteur tout au long de ce court roman. Rien de bien nouveau dans ce roman, et ce n’est peut-être pas pour rien que cet auteur est peu traduit en français, mais ce fut une lecture plaisante et assez rapide pour que je ne me lasse pas du style. Une lecture qui me permettra de briller lors de la prochaine discussion sur l’adolescence dans un dîner mondain en citant un obscur prix Nobel (« Comment, vous ne connaissez pas ? »), mais qui ne me laissera pas un souvenir indélébile (à moins que je ne me mette à fréquenter les dîners mondains…).

36raton-liseur
Editado: Jan 30, 2015, 12:06 pm

J’ai découvert Knut Hamsun par hasard, juste sur le titre d’un livre de poche qui n’avait ni résumé ni présentation de l’auteur, mais un livre qui s’appelle Vagabonds et qui coûte à peine un euro, je ne pouvais pas être déçue. Et j’ai été comblée au-delà de mes espérances.
Depuis, j’ai fait quelques autres incursions dans l’œuvre de Hamsun, mais je n’ai jamais retrouvé ce coup de foudre initial. Je pensais qu’avec Pan, un de ses livres les plus connus, je pourrais retrouver un peu de mon engouement d’autrefois. Mais non, c’est probablement le pire livre d’Hamsun que j’ai lu (bon, il n’y en a pas tant que cela, j’ai encore quelques œuvres à découvrir, je ne désespère pas de retrouver quelque chose à mon goût).

37raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 6:52 pm

Flânerie (Décennie 1920) - Pan - Knut Hamsun
Il peut pleuvoir et tempêter, ce n’est pas cela qui importe, souvent une petite joie peut s’emparer de vous par un jour de pluie et vous inciter à vous retirer à l’écart avec votre Bonheur. Alors on se redresse et on se met à regarder droit devant soi, de temps à autre on rit silencieusement et on jette les yeux autour de soir. A quoi pense-t-on ? A une vitre éclairée dans une fenêtre, à un rayon de soleil dans la vitre, à une échappée sur un petit ruisseau, et peut-être à une déchirure bleue dans le ciel. Il n’en faut pas davantage. (p. 6-7, Chapitre 2).
Pan est l’histoire d’un jeune lieutenant en congé dans le nord giboyeux de la Norvège. Louant une petite cabane, il passe ses après-midi à chasser et à arpenter les bois, ne demandant pas plus à la vie que d’être libre dans cette nature où il se sent plus à l’aise que dans la société. Mais il ne peut s’extraire tout à fait du commerce avec les hommes, et surtout du commerce avec les femmes. Il séduit, il est séduit, dans des jeux qui se révèlent plus dangereux et surtout plus malsains qu’ils ne paraissent au premier abord.
Et c’est ce côté malsain qui m’a dérangée tout au long de ce livre, que j’ai fini seulement parce que je me suis engagée à en faire la relecture pour une publication gratuite. Bien que ce roman puisse apparaître comme une exaltation de la nature et de la vie simple et en autarcie dans les grands espaces sauvages de Norvège, tout est vicié, peu agréable, et ce Thomas Glahn est vraiment antipathique (au même degré que son amour principale, la prude et manipulatrice Edvarda).
L’épilogue, conté par une tierce personne alors que le roman est écrit à la première personne, et situé dans la moiteur de l’Inde, tranche avec le corps principal du roman et lui donne une autre perspective, mais cela n’a pas racheté cette lecture à mes yeux, qui est donc un cuisant échec.

38raton-liseur
Jan 30, 2015, 1:11 pm

J’ai découvert Gabriel Garcia Marquez adolescente, avec son roman le plus connu, Cent ans de solitude. Je n’étais pas prête pour cela et ce roman m’a laissé interloquée. Pas vraiment choquée, pas conquise du tout, juste avec un gros point d’interrogation dans la tête. D’autant que ma mère m’avait dit avoir aimé ce livre, et ça ne cadre vraiment pas avec l’image que j’ai d’elle…
Ce défi de lecture m’a permis de faire le tour des écrivains Nobel que j’avais déjà croisé sur ma route de lectrice, et, pour certains, cela a été l’occasion de leur donner une deuxième chance. Gabriel Garcia Marquez fait partie de ceux-là.
Aidée par l’écoute des Funérailles de la Grande Mémé, nouvelle lue par Gérard Lartigau (voir note de lecture), et par deux livres trouvés à la bourse de lecture de fin d’année à l’école des enfants, je me suis lancée dans une redécouverte de Gabriel Garcia Marquez. Une bonne lecture, et maintenant j’aimerais m’attaquer au Général dans son labyrinthe, que j’ai dans ma bibliothèque, mais il est en espagnol, acheté sur un marché à Cuba il y a bien longtemps. Je crains que mon niveau d’espagnol ne soit jamais suffisant pour le lire dans le texte…

39raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 6:52 pm

Flânerie (Décennie 1980) – Les funérailles de la Grande Mémé - Gabriel Garcia Marquez
Il avait une barbe de deux semaines, les cheveux courts, durs et raides comme les crins d’un mulet, et avec cela un air de garçon apeuré. Mais c’était une fausse apparence. Il avait fêté ses trente ans en février, vivait avec Ursula depuis quatre ans, librement et sans enfants, et la vie lui avait apporté bien des raisons d’être vigilant mais non d’avoir peur. Il ne savait même pas que pour certaines personnes la cage qu’il venait de construire était la plus belle du monde. Pour lui, habitué à en fabriquer depuis son enfance, il s’était simplement agi d’un travail un peu plus difficile que les autres. (p. 67, “Le merveilleux après-midi de Balthazar”).
Les funérailles de la Grande Mémé est probablement la nouvelle la plus connue de Gabriel Garcia Marquez. Publiée cinq ans avant son roman le plus célèbre, Cent ans de solitude, elle marque en effet l’invention d’un style que l’on appellera le réalisme magique et qui est vu comme la marque de fabrique des auteurs d’Amérique du Sud, comme l’arbre cachant la forêt.
Mais il serait dommage de résumer ce recueil à cette seule nouvelle qui le clôt. Les autres nouvelles sont certes de valeurs inégales (du moins je les ai appréciées à différents degrés), mais c’est une lecture plutôt agréable. J’ai eu l’impression de voir un écrivain en début de carrière s’essayant à différents styles et faisant ses gammes.

40raton-liseur
Jan 30, 2015, 1:45 pm

Flânerie (Décennie 1980) - Pas de lettre pour le colonel - Gabriel Garcia Marquez
Après la lecture du recueil de nouvelles Les Funérailles de la Grande Mémé, j’ai voulu continuer sur ma lancée et lire ce livre, que j’avais acheté en même temps. Je ne suis pas l’ordre chronologique puisque ce court roman est publié en 1961 et précède donc la célèbre nouvelle d’une petite année.
Ce roman avec son titre énigmatique, comme souvent chez Garcia Marquez me semble-t-il, ne fait pas partie de ses plus connus, et je n’en avais jamais entendu parler avant de le trouver sur les étagères de la bouquinerie en cette fin d’année scolaire.
Pourtant, j’ai beaucoup aimé cette lecture, son ironie mordante, son ton désabusé, sa chaleur écrasante. J’ai même plus aimé que Les Funérailles de la Grande Mémé, même si je dois avouer que la fin m’a parue un peu décevante, un peu en queue de poisson comme si l’auteur n’avait pas trop su comment mettre un point à cette histoire.
Il est bien pathétique ce colonel dont on ne saura pas le nom, qui a servi vaillamment son pays pendant les heures sombres de la Guerre des Mille jours entre 1899 et 1902, guerre qui aboutira à la sécession du Panama, et qui depuis attend que le gouvernement se souvienne de lui. Voilà quinze ans que tous les vendredis, qu’il pleuve ou qu’il vente, il se rend invariablement au bureau de poste pour savoir si le gouvernement a enfin accédé à sa demande pour le versement de sa pension. Quinze ans qu’il vivote dans son petit bourg, quinze ans qui ont vu partir beaucoup de meubles chez les riches du village pour pouvoir se nourrir, qui ont vu l’asthme de sa femme s’aggraver, qui ont vu son fils mourir dans des circonstances troubles. Quinze ans ramassées dans les quelques jours que dure ce roman, car toutes les semaines ont été celles de la même misère et de la même attente.

Tristesse et ironie mêlées, un livre beaucoup plus réaliste que le style qui fera quelques années plus tard la renommée de Gabriel Garcia Marquez. Un style plus classique, voire conventionnel donc, mais qui m’a beaucoup plu. Un roman accessible, qui montre une facette moins connue de cette grande figure colombienne, et il me semble que c’est là la marque d’un grand écrivain, quand ses écrits mineurs ou moins connus sont comme de petites pépites qui brillent de mille feux ou comme de petits bonbons acidulés qu’on ne peut s’empêcher de grignoter avec gourmandise.

41raton-liseur
Fev 26, 2015, 10:34 pm

Samuel Beckett, c’est la découverte du théâtre de l’absurde. J’ai lu En attendant Godot adolescente, j’ai eu la chance de le voir quand j’étais étudiante et, même si je suis en général assez hermétique à la littérature hautement allégorique, cette pièce fait certainement partie de mes œuvres préférées. J’ose après plusieurs années reprendre la lecture de Samuel Beckett, avec une autre pièce de théâtre, Fin de partie. Je l’avais lue il y a quelques années, je l’ai écoutée au cours de cet été. Déçue sur le moment, j’ai l’impression que, presque six mois plus tard alors que je me décide enfin à mettre ma note de lecture en ligne, les choses ont décanté et que cette pièce m’a marquée plus que je ne le pensais sur le coup.

42raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 6:52 pm

10. Fin de partie - Samuel Beckett
Clov. – Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut être finir. (Un temps) Les grains s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas. (Première réplique).
Fin de partie fait immédiatement penser à En Attendant Godot. Quatre personnages organisés en couple dans chaque pièce, une cyclicité qui confine au tragique… Je ne peux m’empêcher de penser que cette pièce est une redite, en moins bien, d’En Attendant Godot.
Et c’est très certainement injuste car, si Samuel Beckett laboure le même sillon, celui de la tragédie de la condition humaine, son absence de but et de sens, son absurdité abyssale, Fin de partie va peut-être plus loin dans le propos, avec des personnages qui ne se contentent plus d’attendre un Godot, qui, si l’on ne sait pas qui il est, et justement parce que l’on ne sait pas, peut être un espoir, mais qui cette fois attendent et désirent la mort. Une mort qui les délivra de l’absurdité de leur vie inutile et sans cesse recommencée.
Finalement, je crois que si j’aime moins Fin de Partie, ce n’est pas à cause de la redite, mais parce que sa radicalité plus grande devient trop pour moins et me met vraiment mal à l’aise. A lire et relire, à écouter et réécouter, à voir sur scène si un jour j’en ai l’occasion.

43raton-liseur
Abr 3, 2015, 8:03 pm

Kipling est de ces auteurs encensés de leur vivant mais n’ayant plus très bonne presse de nos jours. Ecrivain colonialiste, écrivain pour la jeunesse. Avec notre habitude réductrice de mettre tout le monde dans des cases, on passe parfois à côté d’auteurs qui ont encore quelque chose à nous dire. Je n’avais pas forcément une bonne opinion de Kipling, après avoir lu Histoires comme ça en 6ème, que j’avais trouvé trop bébé pour la jeune collégienne que j’étais, mais cette relecture d’une nouvelle déjà lue il y a une bonne dizaine d’années m’a ouvert de nouvelles perspectives et me donne envie de m’attaquer à d’autres œuvres plus conséquentes de cet auteur, pourquoi pas même Kim, qui semble être un beau voyage dans toute l’Inde d’il y a un siècle.

44raton-liseur
Abr 3, 2015, 8:03 pm

Flânerie (Décennie 1900) - L’Homme qui voulut être Roi - Rudyard Kipling
J’avais lu cette nouvelle dans un recueil il y a plusieurs années, et j’étais vite passée à autre chose. Je crois que cette deuxième lecture, alors que je n’avais plus qu’une très vague idée des évènements, m’a permis de mieux la comprendre ou du moins de mieux l’apprécier. Ces deux aventuriers qui s’enfoncent dans les provinces les plus reculées d’Afghanistan pour trouver un royaume où ils pourront exercer le commandement auquel ils se sentent appelés ont quelque chose de magnifique et de pathétique. Certes, il y a un peu du fardeau de l’homme blanc, un trait qui a mal vieilli, mais cette histoire va bien au-delà de cela. Ces deux hommes se sentent la capacité de gouverner, de présider aux destinées d’un peuple, mais ils savent bien que ce n’est pas dans leur société sclérosée et bien hiérarchisée qu’ils pourront réaliser leurs désirs de grandeur et s’accomplir. Mais se prendre pour un dieu comporte quelques risques, surtout lorsque finalement on ne peut que se comporter comme l’homme que l’on est. Grandeur et déchéance de deux hommes, Dravot et Carnehan, qui croyaient en eu, qui sont allés au bout de leur rêve, mais qui ont fini par en faire un cauchemar. Un très beau texte, que j’aimerais pouvoir analyser plus, mais qui se suffit probablement à lui-même dans toute sa complexité, dans ce qu’il dit sur ce que c’est que d’être un homme dans toute sa dimension tragique.

45raton-liseur
Abr 3, 2015, 10:25 pm

Bien sûr je savais que Selma Lagerlöf avait écrit Le Merveilleux voyage de Nils Holgersson (que je n’ai toujours pas lu…), mais c’est avec La Légende de Gösta Berling que j’ai découvert son écriture, et c’est toujours un de mes meilleurs souvenirs de lecture. Depuis, j’ai lu d’autres livres et plusieurs de ses nouvelles, que j’ai plus ou moins appréciée en fonction de ses sources d’inspiration. L’été dernier, j’ai eu l’occasion d’écouter trois de ses nouvelles, dont deux que j’ai aimées, une beaucoup, et une qui m’a laissée plus que perplexe.

46raton-liseur
Editado: Abr 3, 2015, 10:28 pm

Flânerie (Décennie 1900) - Le Roman d’une femme de pêcheur - Selma Lagerlöf
Elle ne savait pas pourquoi elle vivait. Si du moins elle avait rendu un seul être heureux ou meilleur…
Jamais elle ne se dit que celle qui regarde sa vie comme manquée, parce qu’elle n’a fait du bien à aucune créature humaine, a peut-être, par cette humble pensée, sauvé son âme.
Une belle nouvelle de Selma Lagerlöf, loin de tout fantastique et de tout mysticisme. La vie âpre d’une Norvégienne abusée par un marin et qui l’épouse avant de découvrir ce que sera sa dure vie. Et rien ne lui sera épargné, et c’est une vie âpre, difficile chaque jour qui se déroule devant les yeux du lecteur. Mais pas de plainte, un grand fatalisme ; l’acceptation de son lot, de ce qui lui est échu. Avec peut-être l’amertume de ne pas savoir à quoi sa vie a servi, et cette interrogation est poignante. Selma Lagerlöf sauve son héroïne par un peu de morale religieuse à peine visible dans la dernière phrase, mais c’est surtout la grandeur du fatalisme de cette femme pauvre et seule au-delà de ce qu’elle aurait pu imaginer qui donne sa grandeur à cette nouvelle. Agréable moment de lecture, même si cette résignation n’est plus dans les mœurs d’aujourd’hui (ce dont je me félicite…).

47raton-liseur
Abr 3, 2015, 10:27 pm

Flânerie (Décennie 1900) - Sigrid la Superbe - Selma Lagerlöf
Un beau texte court de Selma Lagerlöf, dans lequel elle chante la double appartenance de son pays, tant aux légendes scandinaves qu’à la chrétienté. Sigrid la Superbe, la reine de Suède encore affiliée aux croyances païennes, doit s’unir avec Olaf, roi de Norvège et peut-être futur Saint Olaf (même si le nom n’est pas le même). Avec ces deux personnages, c’est tout l’héritage de la Scandinavie qui s’invite aux épousailles. Les géants et tous les farfadets espèrent pouvoir rentrer bientôt en Norvège, d’où les nouvelles croyances les avaient chassés. Mais c’est sans compter avec le pouvoir des larmes de la Vierge… Le mariage aura-t-il lieu, qui devra s’effacer ?
Une jolie histoire pleine de poésie que Selma Lagerlöf conte de sa plume vive qui sait peindre les lieux et les personnages. Un agréable moment de lecture qui me replonge dans les légendes d’autrefois et dans le merveilleux. La veine de Selma Lagerlöf que je préfère.

48raton-liseur
Abr 3, 2015, 10:28 pm

Flânerie (Décennie 1900) - Une Légende de Jérusalem - Selma Lagerlöf
Une nouvelle ésotérique dit la présentation. En effet, et je n’y ai pas compris grand-chose. Passerelles entre et christianisme et islam, rêves chargés de sens et de symboles… On est à Jérusalem, ville sainte à la croisée des religions… Selma Lagerlöf, qui m’avait habituée aux froides contrées scandinaves m’a perdue sur les chemins de la sainteté, et je suis sortie perplexe de cette lecture dont je ne peux rien dire de plus…

49raton-liseur
Editado: Abr 13, 2015, 6:18 pm

J’ai découvert Nadine Gordimer il y a longtemps, je crois par un article du Courrier International sur Ceux de July, un livre que j’avais trouvé intéressant bien que je ne m’en souvienne guère. C’est plus tard que j’ai vu qu’elle avait reçu le prix Nobel et que je me suis dit que je pourrais bien la relire. Au gré d’une vente d’occasion me voici avec ce livre, et c’est maintenant que j’écris cette note de lecture que je m’aperçois qu’elle est morte il y a seulement quelques mois et qu’il n’y aura donc plus de nouveaux livres de sa plume.

50raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 6:51 pm

Flânerie (Décennie 1990) - Personne pour m’accompagner - Nadine Gordimer
Vera lisait les journaux et des rapports, des livres blancs, elle était attirée vers les gens tiraillés entre leurs attachements personnels et ces autres tentacules, le besoin d’aller au-devant de la détresse des autres, de cet enchevêtrement de frustrations et de misères ; vers des femmes, des femmes comme elle, enlevées à l’humble bric-à-brac de leurs vies et déposées, manquant de tout, dans le veld, vers des hommes, des hommes comme le sien, expulsés d’une ville où ils auraient pu trouver un emploi, chassés des fermes où leurs pères avaient prodigué leur travail ; vers des enfants qui n’étaient pas comme les siens parce que pour eux il n’y avait pas d’enfance, des enfants qui mendiaient et se consolaient en reniflant de la colle dans la rue. Elle sut enfin ce qu’elle voulait. Elle décida de travailler à la Fondation, non pas en raison de cette culpabilité des Blancs qui alimentait les conversations, mais par besoin de prendre sa part, de faire contrepoids, avec les moyens qui étaient les siens, à son appartenance à une époque et à un lieu dont elle faisait partie, elle le comprenait, de par sa naissance, qu’elle le veuille ou non. Ce besoin avait dû grandir en elle sans qu’elle s’en rendît compte – comme une graine apportée dans une fiente d’oiseau et qui germe, bourgeonne, à côté d’un arbre d’ornement. (p. 30-31, Chapitre 2, Partie 1, “Bagages”).
Pour un écrivain qui a combattu l’apartheid, la fin de ce régime a aussi été une remise en cause de ce qui faisait le terreau de son écriture, une perte de sa principale source d’inspiration. Ce livre marque ce moment pour Nadine Gordimer ; elle y évoque non plus la période de l’apartheid, mais cet entre-deux pendant lequel un nouveau système se met en place tandis que l’autre se défait peu à peu, du moins en surface. Pour aborder ce thème, elle se concentre sur le personnage de Véra Starck, une femme blanche dans la soixantaine, impliquée dans la lutte contre l’apartheid, mais pas jusqu’au point d’y sacrifier sa vie personnelle. Son pays est à un tournant, elle voit certains de ses amis noirs revenir d’exil, ses engagements prennent une autre direction. Et elle aussi est à un tournant de sa vie, faisant un bilan de sa vie de femme, voyant ses enfants construire à leur tour leur vie d’adulte, regardant avec lucidité ce que seront les années à venir pour elle.
J’ai aimé ce portrait de femme, bien que je sois encore bien loin de ces âges, mais peut-être l’apparition de quelques cheveux blancs et l’addition encore récente d’une génération de plus à la famille m’amènent-elles à me projeter plus dans ce futur où le passé est plus long que ce qui s’annonce devant. J’ai certes préféré, et de loin, Best love Rosie de Nuala O’Faolain, que j’ai lu il y a un peu moins d’un an, sur ce thème, mais Vera Starck, si elle m’est moins proche et si elle me paraît plus froide, plus cynique, plus égoïste surtout, m’a intéressée et j’ai aimé la suivre dans ces petits évènements de sa vie amoureuse et maritale, des évènements auxquels elle ne semble pas prendre part, qu’elle semble observer et, on finit par s’en apercevoir, qu’elle laisse arriver, si elle ne les provoque pas, tout à fait consciente de la signification de sa passivité apparente ou de son air de ne pas y toucher. Vera Starck n’est pas de ces personnes que j’aimerais compter parmi mes amis, mais sa capacité à assumer ce qu’elle est et à vivre selon ses envies forcent le respect.
Avec cela, je dois avouer que la transition politique en Afrique du Sud est un peu passée au second plan lors de ma lecture. Et peut-être aussi au second plan de l’écriture. Car « qui trop embrasse mal étreint » dit le proverbe, et il me semble que c’est un peu par là que pèche le livre. Entre réflexion sur l’âge mûr et transition politique, le livre s’éparpille un peu et, même s’il livre des informations et une vision intéressante sur cette période où la réalité de l’exercice du pouvoir commence à brouiller les lignes entre les bons et les méchants, il ne va peut-être pas assez loin dans l’analyse qu’il donne. Peut-être parce que Nadine Gordimer n’avait pas, en 1994 à la date de parution de ce livre, le recul suffisant pour faire de cette époque si récente une matière romanesque, peut-être parce que la vision qu’elle donne se trouve plus dans le parallèle entre un certain désenchantement d’une femme qui, du fait de son âge, perd ses illusions comme les militants des jours glorieux de la lutte anti-apartheid s’accommodent des réalités de la politique au quotidien.

En définitive, mais si ce livre a quelques défauts, il m’a permis de remettre les pieds sur le continent africain, moi qui lis bien peu de littérature africaine en comparaison de mes excursions sur d’autres continents. Je l’ai lu avec plaisir et intérêt et je sais que je continuerai, même si c’est à petites doses, à découvrir l’œuvre de cette auteure qui n’a cessé d’entremêler dans ses récits son amour pour son pays et la dénonciation de ses dysfonctionnements.

51raton-liseur
Maio 5, 2015, 6:48 pm

J’ai entendu parler d’Herta Müller pour la première fois lorsqu’elle a obtenu le prix Nobel, en 2009. Je m’étais alors promis de la lire, mais n’avais jamais trouvé de titre qui m’attirât assez pour me faire sauter le pas. Ce défi de lecture a été l’occasion d’enfin prendre le temps de la lire. Je me souviens que lorsqu’elle avait obtenu le prix Nobel, j’avais trouvé ses sujets intéressants, mais qu’à regarder ses livres d’un peu plus près, le style risquait de ne pas me convaincre.
Première impression hélas confirmée par cette lecture. J’ai jeté mon dévolu sur le livre dont j’avais entendu parler en même temps que l’auteur, et c’est bien cela. Sujet intéressant, mais façon de le traiter et style qui m’ont rebutée. Décidément, les Nobel de ces dernières décennies sont autant de déconvenues livresques pour moi.

52raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 6:50 pm

11. La Convocation - Herta Müller ; traduction de Claire de Oliveira
Il est facile de parler des années passées quand elles se sont mal passées. Mais s'il fallait dire qui nous sommes maintenant, nous qui respirons, seul un silence suspect s'étendrait à côté de notre langue. (p. 220).
La convocation, du Virgina Woolf en moins bien. Voilà ce que je pourrais dire pour résumer mon sentiment après cette lecture poussive que je me suis forcée à finir. Le procédé est en effet un peu similaire à celui que Virginia Woolf inaugure dans Mrs Dalloway, le flux de conscience, par lequel l’auteur cherche à retranscrire les idées de ses personnages comme elles lui arrivent, de façon désordonnée, passant du coq à l’âne ou bien fonctionnant par association d’idées, sans intervenir en tant qu’auteur pour arranger ces pensées de façon cohérente, pour les hiérarchiser. Le procédé marche plutôt bien chez Virginia Woolf : même si ma lecture de Mrs Dalloway il y a moins d’un an a été un peu difficile, je l’ai trouvée intéressante et j’ai fini par y trouver un certain plaisir. Ici je me suis ennuyée de bout en bout, je n’ai vraiment pas compris quelle pouvait être l’intention de l’auteure dans ce roman.
Certes, ça ne doit pas être drôle de vivre dans un régime communiste de l’Europe de l’Est (on appelle cela un euphémisme), certes je n’aimerais pas être à la place de cette femme convoquée et reconvoquée pour ce que l’on pourrait considérer une broutille, mais je crois que ce livre ne m’a rien appris sur ce que c’est que de vivre dans cette situation, ce que c’est que d’être à chaque instant scrutée, ce que cela veut dire que les gestes anodins puissent avoir des répercussions pendant toute une vie. J’espérais comprendre un peu, ou du moins toucher du doigt, je n’ai vu qu’une femme somme toute plutôt pathétique, sans relief, sans avenir, dont les pensées vagabondent entre le présent et un passé plus ou moins lointain, mais où il semble plutôt que ce sont ses choix personnels ou ses petites lâchetés qui soient à l’origine de sa triste situation, sans que le régime y soit pour beaucoup au fond.
Un livre décousu, mais pourquoi pas, c’est une idée de construction qui peut tenir la route. Suivre une femme pendant son trajet en bus pour se rendre à sa énième convocation par la police d’Etat, et qui laisse ses pensées errer entre l’anticipation de cet entretien à venir, les entretiens passés et des tableaux de sa vie présente ou passée. Mais ici, c’est un livre décousu qui tourne sur lui-même, voir qui s’emmêle les pinceaux, sans que j’aie pu y trouver aucun sens ni aucun intérêt. Peut-être est-ce un livre qui parle plus à une personne qui a effectivement vécu de ce côté-là du rideau de fer. Peut-être beaucoup de choses sont-elles suggérées et n’ont-elles pas besoin d’être expliquée pour ceux plus proches de cette réalité. Pour la lectrice privilégiée que je suis, ce roman manque de contexte et je n’ai malheureusement pas été touchée par ce livre.

53raton-liseur
Maio 5, 2015, 7:08 pm

Je comptais finir ce défi avec un livre d’Albert Camus, mon auteur préféré, avec ou sans prix Nobel. Peut-être lirai-je un autre livre lorsque j’aurai fini (il ne me manque finalement qu’un livre, pour la décennie 1940, je ne suis pas si loin du compte, même si je suis un peu en retard…), mais il était inévitable qu’à un moment ou un autre Camus figure dans cette liste.
C’est un livre peu connu, une pièce radiophonique en réalité, un genre que je ne savais pas qu’il avait pratiqué. On n’a plus la version originale, créée quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale, mais l’équipe de l’émission Drôles de drames, le Samedi soir sur France Culture a eu la bonne idée de monter à nouveau cette pièce, diffusée en novembre 2013.
Pas la plus connue et pas la plus mémorable des œuvres de Camus, mais une vision intéressante de la guerre et des réactions de chacun pendant ces longues années d’occupation.

54raton-liseur
Editado: Maio 5, 2015, 7:29 pm

Flânerie (Décennie 1950) - Les Silences de Paris - Albert Camus ; lecture de Christophe Brault et Jackie Berroyer
Cette pièce radiophonique a été écrite par Albert Camus et diffusée sur les ondes françaises en 1948 ou 1949. Si les bandes en ont été perdues, le texte est demeuré et France Culture a eu l’intéressante idée de remonter cette pièce (agrémentée d’un choix de documents sonores nouveaux) en 2011, dans son émission Drôles de drames (aujourd’hui rebaptisée Samedi noir). Le texte m’a paru un peu trop envahi par les archives d’époque et trop elliptique. C’était peut-être suffisant pour les auditeurs de l’époque qui sortaient à peine des privations de la guerre, mais cela rend le texte un peu énigmatique pour l’auditeur d’aujourd’hui.
La guerre, parce que c’est cela dont il est question. Les Silences de Paris, c’est le vacarme étourdissant des radios de propagande qui envahissent tout pour espérer pouvoir mieux se faufiler dans les pensées de chacun. Les Silences de Paris, c’est aussi la frustration quotidienne des Parisiens, qui ne savent plus ni quoi penser ni quoi dire et comment. Cette pièce décrit à travers le personnage d’un bouquiniste et de son chat Prosper (le seul personnage à être identifié par un nom…) cette confusion de ce qui fut une résistance passive ou une collaboration par défaut, ce ne sera jamais dit. Ce sont tous les indécis, tous ceux qui se révèleront patriotes seulement au moment où les troupes alliées marcheront sur Paris, qui sont dans cette pièce. Pas ceux qui retournent leur veste, non, seulement ceux qui ont essayé chaque jour de passer entre les gouttes, et qui auront la libération de Paris à peine plus joyeuse et bruyante que les années d’occupation.
C’est une pièce étrange, qui contraste avec les engagements de Camus, car c’est la passivité qui est ici mise en scène, rien à voir avec l’activisme d’un Rieux dans La Peste. Et Camus ne juge pas, ne dit rien. Il laisse écouter, il laisse chacun se faire son opinion. Je ne suis pas même sûre que la pièce demande de se faire une opinion. Non, elle constate, elle dit, c’est tout. Certes, les Français ont eu la mémoire courte et ont su réécrire l’histoire de magnifique façon, mais déjà quelques années après la guerre, Camus, qui a passé une grande partie de cette période dans la capitale, collaborant à divers journaux et participant donc lui-même au brouhaha médiatique, donne cette description sans concession (mais aussi sans accabler personne) de la réalité de la capitale dans ces années sombres.
Rien d’étonnant à ce que cette pièce, tant mineure par le genre que dérangeante par le contenu, soit oubliée et aujourd’hui difficile à trouver (à part dans l’œuvre de Camus dans la Pléiade et une édition Gallimard dont je n’ai pu trouver de trace). Trop mineure et trop dérangeante. Un peu difficile d’accès aujourd’hui par son caractère elliptique, mais un témoignage peu connu et qui vaut un petit arrêt pour réfléchir à ce que fut notre histoire récente. A conseiller comme une lecture de traverse à tous les lecteurs de Camus et tous les lecteurs qui aiment réfléchir sur les méandres de notre humanité.

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